Les surdoués passent le bac. Et après ?

Les surdoués passent le bac. Et après ?

Pendant que les enfants de son âge terminent leur classe de 4e, Edwin Hamel de Le Court se présente au baccalauréat. A 13 ans et demi, c’est le deuxième plus jeune candidat. Le benjamin de la session, qui tient à son anonymat, est né quatre mois après lui. C’est le seul de 1996, quand quatre sont nés comme Edwin en 1995 et une dizaine en 1994. La difficulté pour eux n’est pas de décrocher le bac, mais d’éviter, une fois cette formalité accomplie, de piétiner dans le système éducatif français où rien ne sert de courir, puisque l’essentiel est d’arriver à point.

Présage de ce goût pour la norme, Edwin n’a pas pu faire son dossier de demande de bourse en ligne. Sa date de naissance y était refusée. Pour casser ce déterminisme et inscrire son fils dans la bonne classe préparatoire aux grandes écoles, Yolande Hamel de Le Court a évité les prépas qui font redoubler ces élèves un peu jeunes.

Louis-le-Grand, à Paris, où Edwin postule en section scientifique, préfère les laisser marcher à leur pas. "Nous recherchons la qualité du dossier avant de nous intéresser à l’âge du candidat, explique Joël Vallat, le proviseur de ce lycée qui compte 950 étudiants en prépa. Un élève de 14 ans en terminale S en tête de classe en maths et aussi en philosophie nous intéresse. Mais je téléphone à son proviseur pour m’informer de tout ce qui n’apparaît pas sur un bulletin trimestriel : sa maturité, son comportement avec les autres, ses centres d’intérêt." Un ou deux candidats réunissent chaque année toutes ces conditions et intègrent le grand lycée parisien. A leur sortie deux ans plus tard, les établissements les plus prestigieux s’ouvrent à eux. "Pur hasard", selon le proviseur, aucun d’eux n’a récemment opté pour l’Ecole normale supérieure (ENS).

Fleuron de la recherche et de l’enseignement, l’ENS a pourtant l’habitude des jeunes hors normes. Parmi ses lauréats 2008, treize ont tout juste 18 ans à l’entrée. En 2007, deux ont même intégré à 17 ans. Un en mathématiques, un en physique. A Polytechnique, sa challenger dans la tête des forts en maths, on n’entre pas si l’on n’a pas 17 ans accomplis au 1er septembre de l’année du concours. "C’est statutaire, précise Gérard Fontaine, le directeur du concours. Chaque année, entre 1,5 % et 2,5 % de nos candidats ont deux années d’avance et 7 % une année. Jamais plus."

Si Edwin voulait entrer à l’X, il devrait donc patienter plusieurs années. "Un cas de figure qu’ont connu nombre de mes élèves", rappelle Louis Pinder, directeur d’une école privée sur mesure pour jeunes précoces à Nice. Pour qu’ils ne s’ennuient pas, le collège s’y parcourt en deux saisons. "Il ne s’agit pas de gagner des années pour gagner des années ; plutôt de leur offrir une nourriture intellectuelle qui les satisfasse. Ensuite, je conseille aux plus jeunes qui veulent faire Polytechnique de patienter une année à Centrale."

Présidente de l’Association française des enfants précoces (AFEP), Vlinka Antelme penche plutôt pour l’année à l’étranger. Comme Gérard Fontaine. Un moyen de permettre à ces jeunes de s’autonomiser en améliorant leur pratique d’une langue vivante. Certains préfèrent pourtant rester ici et "passent trois ou quatre ans dans des prépas en attendant de présenter Polytechnique", rappelle Mme Antelme.

Parce que l’université n’offre pas toujours le cadre dont ont besoin ces étudiants hors normes, elle la leur déconseille. "Ceux qui sont attirés par la médecine y vont mais s’y sentent souvent perdus et y souffrent plus que des élèves moyens du manque d’encadrement", rappelle Ariel Adda, une psychologue qui suit de nombreux forts potentiels. "On en retrouve certains sans diplôme après avoir tenté deux fois le concours de fin de première année. Souvent ils ont traversé les années lycée avec trop d’aisance pour apprendre à travailler et, là, ils se retrouvent perdus. Ils arrivent en consultation en grande détresse. Leur souffrance est très forte parce que leur intelligence les rend ultralucides sur leur situation." Un rapport à eux-mêmes, aux autres et au monde qui ne leur laisse aucun répit. Même plus tard, une fois passée l’adolescence.

"Chez le surdoué, penser c’est vivre. Il n’a pas le choix. Il ne peut arrêter cette pensée puissante, incessante qui sans relâche, scrute, analyse, intègre, associe, anticipe, imagine, met en perspective… Aucune pause. Jamais", explique Jeanne Siaud-Facchin, une psychologue, auteur d’un des très rares livres sur les adultes surdoués (Trop intelligent pour être heureux ?, Odile Jacob, 2008). A cette présence forte au monde vient s’ajouter une difficulté à renoncer.

"L’adolescent surdoué a du mal à réduire le champ des possibles et ne peut s’empêcher de remettre tout en jeu. D’où sa difficulté à choisir une orientation", analyse la clinicienne. Paule Heyberger se souvient du parcours de son fils, bachelier à 14 ans. "Après quatre années à patienter en classe préparatoire, il est reçu à l’ENS et aux Arts et Métiers. Il choisit la seconde voie, sort ingénieur à 21 ans mais a alors envie de repasser l’ENS, où il est à nouveau reçu." A 24 ans, il travaille aujourd’hui dans un laboratoire de recherche.

Jeanne Siaud-Facchin reçoit de nombreux adultes insatisfaits. "Ils ont suivi des parcours exemplaires, occupent des postes très enviables et, un jour, ont le sentiment que leur jouet sonne creux. Ils ressentent au fond d’eux-mêmes la sensation d’un non-accomplissement, doublé d’une extrême solitude."

Une douleur que Jean-Christian Guibert connaît bien. Et a connue toute sa scolarité. "Maths sup, maths spé, une école d’ingénieurs. Tout cela était intellectuellement intéressant, mais pas nourrissant. J’étais malheureux. Tellement malheureux qu’un jour je suis parti", raconte cet homme de 37 ans. A l’issue de quelques années d’errance, Jean-Christian Guibert se lance dans le spectacle de rue, qui l’amène au métier de clown. En 2008, il se décide à faire mesurer son coefficient intellectuel, pour comprendre d’où lui vient cette "extra-sensibilité", terme qui définit le mieux à ses yeux le rapport au monde des surdoués. "Parce que j’avais besoin de le voir écrit pour relire mes souffrances passées à l’aune de ces résultats."

Aujourd’hui, la pratique de son métier de clown atténue un peu le poids de sa différence en lui permettant de la gérer. "Ce travail a plus de sens que tout ce que j’ai pu faire jusqu’ici. Je trouve d’une importance primordiale le fait de parler à l’âme des gens. Le clown est un idiot, un raté, un inadapté. Dans l’échelle de la hiérarchie humaine, il est au dernier barreau. Complètement à rebrousse-poil des directions que suit notre société. N’est-ce pas follement libre ?", se demande l’artiste à voix haute.

Tous les surdoués ne connaissent pas ces tourments, certes, mais le bonheur n’est pas non plus proportionnel au quotient intellectuel.

Maryline Baumard
Source: LE MONDE
17.06.09

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