Pitte-Julliard : l’université française peut-elle survivre au XXIe siècle ?

Pitte-Julliard : l’université française peut-elle survivre au XXIe siècle ?

Propos recueillis par STÉPHANE MARCHAND et MARIE-LAURE GERMON.
Publié le 05 octobre 2007

LE FIGARO. – La France est connue dans le monde entier pour son culte de l’élite nationale formée dans les grandes écoles et les classes préparatoires. Pourtant, nos grandes écoles et surtout nos universités sont mal cotées dans les classements internationaux. De quoi avons-nous besoin ? De plus de sélections ?

Bruno JULLIARD. – Mais au nom de quoi devrait-on faire dépendre la qualité du diplôme de sa sélectivité ? C’est une fausse logique ! Par ailleurs, la question de la sélection n’est plus un tabou à l’université. Elle se pratique plus ou moins subrepticement et c’est – à mon sens – une grave erreur ! Alors même que nous devrions nous fixer comme objectif de faire accéder plus de jeunes à l’université, il serait totalement contre-productif de mettre en place une sélection à l’entrée de l’université qui diminuerait fatalement le nombre d’étudiants. Par ailleurs, on a souvent l’impression, ici en France, qu’un diplôme provenant d’une filière sélective (IUT, grandes écoles, BTS, etc.) est meilleur par nature. C’est un « effet d’optique ». La qualité de ces diplômes n’est pas tant due à la sélectivité intrinsèque de ces filières qu’aux conditions d’études qui diffèrent radicalement de celle de la faculté. Un étudiant admis dans un IEP de province ne sera jamais confronté aux cours bondés en amphis dans lesquels se massent des centaines d’élèves. Ce sont les conditions d’études et le contenu des enseignements qui font la qualité du diplôme, et non pas le degré de sélectivité à l’entrée.

Jean-Robert PITTE. – Je suis d’accord avec Bruno Julliard sur le fait qu’il n’y a pas suffisamment de jeunes qui peuvent bénéficier d’un enseignement supérieur. Je vous accorde également que les conditions d’études à l’université sont lamentables et que notre pays devrait avoir honte de faire travailler des jeunes gens de l’enseignement supérieur dans ces conditions, en y dépensant si peu d’argent. La France ne débourse que 6 500 eur par étudiant et par an en moyenne dans les universités – et même beaucoup moins dans les filières littéraires et juridiques. Une somme insignifiante si l’on se compare à ce qui se fait à l’étranger ! Là où je ne vous rejoins pas, Bruno Julliard, c’est lorsque vous oubliez que l’absence de sélection au seuil de l’université a un prix exorbitant : le taux d’échec – en particulier dans les secteurs des humanités et du droit – est absolument dramatique. Certes, 40 % des lycéens sont déjà sélectionnés durement pour entrer dans des filières sélectives, et ce sur dossier scolaire, avant même d’obtenir le baccalauréat.

Mais la sélection est dans la nature même de toute structure éducative, d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas la sélection positive qu’il faut incriminer, mais bien la sélection par l’échec, celle que nous pratiquons malgré nous, la mort dans l’âme, et qui n’est pas moins drastique : Dans mon université, à Paris-Sorbonne, la première année se solde par 72,5 % de taux d’échec, tandis que 50 % des étudiants échouent au terme de la deuxième année et 40 % en troisième année. Entre le master 1 et le master 2, encore 30 % des élèves abandonnent. C’est cette sélection a posteriori qui est une calamité !

B. J. – Je vous soupçonne de vouloir revenir à une université des héritiers. On sait bien que la sélection profite avant tout aux jeunes issus des familles favorisées. C’est d’autant plus tragique que l’école n’arrive pas à diminuer les inégalités sociales et qu’il y a trop souvent une règle de proportionnalité entre les notes de l’élève et les revenus des parents – et partant, la qualité des diplômes ! Et c’est précisément sur ce point que je voudrais revenir : il faut encore donner une importance dominante au diplôme, c’est un outil cardinal de promotion sociale qui aidera le jeune dont la famille est dépourvue de tout « carnet d’adresses ». C’est pourquoi je redoute la dévalorisation actuelle du diplôme – et du baccalauréat en particulier – que vous et vos pairs prônez sans le dire :

J.-R. P. – Détrompez-vous ! Je crois autant que vous à l’égalité des chances ! Vous regrettez, à juste titre, que les jeunes admis à étudier à HEC, Sciences po ou Polytechnique, soient fort peu souvent issus d’ouvriers ou d’immigrés. Comment y remédier ? Surtout pas en abaissant encore les exigences scolaires pour rentrer dans l’enseignement supérieur ! Si l’on veut véritablement promouvoir l’égalité des chances, il faut remonter bien en amont de l’enseignement supérieur et même du lycée : il faut redonner une colonne vertébrale à l’enseignement primaire. C’est là où le bât blesse ! Aujourd’hui, hélas, elle n’assume plus sa mission : trop d’enfants en sortent sans posséder les savoirs fondamentaux – lire, écrire et compter. Tout part de là.

La réforme voulue par Nicolas Sarkozy offre d’avantage d’autonomie aux universités. Est-ce le début d’une reconquête de la qualité universitaire ?

J.-R. P. – Cette réforme va dans le bon sens, même si j’aurais souhaité qu’elle aille plus loin. La pré-inscription et l’orientation des lycéens avant l’entrée à l’université semblent de bonnes idées. Je suis également favorable à l’attribution d’un budget global – à condition qu’il soit suffisant… Et je crains fort que cela ne soit pas le cas. Depuis des années, on a tellement abandonné l’université française que l’État devra consentir un effort gigantesque pour nous remettre au niveau des autres pays de l’OCDE et espérer pouvoir remonter un jour dans le classement de Shanghai. Si l’on voulait vraiment encourager l’autonomie des universités, il faudrait leur permettre d’avoir des ressources propres, ce qui implique de relever les droits d’inscription à l’université. Bien sûr, cela sera un casus belli, j’en ai bien conscience. Mais je suis convaincu que seule l’augmentation des droits d’inscription contribuera à démocratiser l’université, si l’on met bien sûr en place un système de bourses plus efficace.

B. J.– Je crains fort que cette réforme ne soit un nouveau rendez-vous manqué. Oui, nous avons besoin d’une ambition nouvelle pour l’université. Seulement, on a choisi de traiter la question de la gouvernance des universités avec une vision exclusivement managériale. Le problème, c’est qu’on ne pourra jamais gérer une université comme une entreprise. Qu’on le veuille ou non, cela n’a pas la même vocation !

Autonomes, les universités seront-elles plus riches ?

B. J. – Je crains fort que l’augmentation de l’autonomie des universités accentue également leur asphyxie financière. En effet, plus autonomes, les universités auront davantage de frais à régler ; elles iront donc chercher de l’argent du côté des entreprises privées. Je suis favorable à un financement privé des universités mais mutualisé.

J.-R. P. – C’est une question de priorité politique. On trouve bien 15 milliards pour améliorer les conditions fiscales tandis que nous devons mendier 5 milliards pour irriguer l’enseignement scolaire et la recherche. Ces secteurs sont pourtant décisifs pour l’avenir de la France ! Sommes-nous convaincus que les 15 milliards vont être plus efficaces que 5 milliards chichement alloués ? Franchement, j’en doute un peu…

Jean-Robert Pitte, vous venez de publier une charge contre le bac, devenu selon vous un diplôme insignifiant. Mais comment faire sans bac ?

J.-R. P. – Je ne souhaite pas qu’il disparaisse mais plutôt qu’il soit considéré comme le dernier grade de l’enseignement secondaire alors qu’il est actuellement – et ce, depuis Napoléon – le premier grade de l’enseignement supérieur, ce qui est une absurdité puisque les membres de l’enseignement supérieur ne participent pas vraiment à son organisation et que les collègues du secondaire en sont dépossédés. Il est temps de rompre avec cette grand-messe républicaine pour lui préférer un système fondé sur le contrôle continu complété d’un examen final. Aujourd’hui, le bac n’est guère plus qu’un rituel de passage dénué de sens. Il est urgent de le repenser.

B. J.- Je n’adhère pas trop à cette thèse de dévalorisation, voire de démolition du baccalauréat. Il est même très positif pour une nation, que sa jeunesse se fixe un objectif commun, et que le pays se donne un maximum de moyens pour que la plus forte proportion de lycéens possible accède à cet examen. Le problème, c’est qu’une belle réussite au baccalauréat – c’est-à-dire avec mention – est trop souvent le fait de jeunes issus de catégories sociales favorisées, riches d’un capital social et culturel élevé. L’école est encore trop souvent un vecteur de reproduction sociale, quand ce n’est pas un facteur aggravant. D’autant plus que la valeur de ce diplôme varie en fonction de son territoire d’obtention, ce qui est une autre injustice grave. Oui, Jean-Robert Pitte, il faut effectivement rénover cette institution.

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