EMPLOI – Le premier emploi n’est pas toujours à la hauteur des espérances

En guise de premier emploi, elle ne pouvait guère rêver mieux. Une place dans une grande mairie de la banlieue parisienne, dans les coulisses, là où se tirent les ficelles.

Bérengère – elle tient à ce qu'on ne la reconnaisse pas, comme les autres témoins de cet article -, est diplômée de Sciences Po, spécialisée en affaires publiques. Alors oui, rédiger les discours du maire et tenir le blog de la ville, c'était un très bon début à ses yeux. Enfin, presque…

"Le poste en lui-même, c'est ce que je voulais faire. Mais le milieu… c'était affreux. Il n'y avait que des affaires d'ego, de rivalités. On ne pouvait faire confiance à personne et les idées ne comptaient pas", raconte-t-elle aujourd'hui. Après quelques mois de calvaire, Bérengère jette l'éponge et part vivre un an en Argentine, faire le point. A son retour, elle abandonne la politique. Désormais responsable éditoriale dans une agence de communication, la jeune femme se sent beaucoup mieux. "C'est le même métier mais ce n'est pas le même monde. Ça change tout."

Se réveiller un beau matin et se dire : "En fait, le boulot de mes rêves est un cauchemar", c'est la grande désillusion vécue par un certain nombre de jeunes diplômés. Bon an mal an, une petite partie d'une promotion de l'Edhec – de 5 % à 10 % selon les années – retourne à l'école confier son mal-être. C'est Manuelle Malot, directrice carrières et prospectives de l'école de commerce lilloise, qui les écoute.

"Parfois, le passage à la vie active représente le premier "vrai" choix de leur vie, dit-elle. Depuis le lycée, ces grosses têtes ont branché leur orientation sur pilotage automatique." Un baccalauréat scientifique, une classe prépa, l'école de commerce ou d'ingénieurs la plus réputée possible. C'est normal, c'est la voie royale. Pourquoi s'en écarter ?

ATTERRISSAGE PARFOIS DOULOUREUX

L'atterrissage est parfois douloureux. Le problème, c'est de réussir à mesurer le degré d'insatisfaction, qui peut avoir plusieurs origines : un poste mal défini lors de l'embauche, un jeune diplômé qui s'est trompé de secteur, de métier ou d'entreprise, ou, tout simplement, qui regrette sa carte d'étudiant. "La plupart du temps, les déçus réfléchissent et finissent par se dire : "D'accord, ce n'est pas le nirvana… mais c'est juste le blues des études"", note Manuelle Malot.

Le blues des études, Alexis connaît. "L'école ? C'était les fiestas du jeudi soir, les grasses matinées, les tarots entre amis, le temps pour faire du sport. Et le boulot ? Euh, comment dire…" C'est se retrouver le soir à 20 heures, dans la nuit, à sortir d'une tour de la Défense pour rentrer dans son studio où seuls des cartons l'attendent. "C'est dur", conclut le jeune statisticien.

Pour les diplômés dans le doute, faire la part des choses n'est pas évident. Faut-il prendre son mal en patience, chercher une autre mission dans la même entreprise, quitter cette dernière ou reprendre des études ? "Si le problème est lié à l'entreprise ou au poste, il faut parfois savoir en changer. S'il s'agit d'une véritable erreur d'orientation, c'est plus compliqué. Mais les stages réalisés par le diplômé sont censés éviter ça. De toute façon, en ce moment, vu la situation de l'emploi, mieux vaut commencer par faire le dos rond avant de prendre une décision", estime Christian Darantière, directeur délégué de l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ).

C'est la tactique adoptée à l'époque par Laurence, qui a "flotté" lors de son arrivée dans le secteur du luxe. "Je suis passée d'un milieu stimulant intellectuellement, l'école, au vide intersidéral du questionnement de bureau", résume-t-elle. Responsable d'un secteur commercial pour une grande griffe, la jeune femme se sent aussitôt enfermée dans une petite case. "Si je propose quelque chose en réunion, on me répond : "Cocotte, d'autres personnes font ce travail pour toi." J'ai l'impression de ne pas comprendre ma fonction dans l'entreprise. Je ne connais pas les autres services. C'est très frustrant."

Sa première réaction a été de se mettre "en mode survie" – comme elle dit -, le temps de réfléchir. Démissionner et reprendre les études ? "J'ai failli le faire. Mais en prenant du recul, je me suis dit que j'allais rencontrer le même phénomène partout, que je travaille dans le luxe, chez Coca-Cola ou dans un cabinet d'avocats."

Reste que ce n'est pas seulement chez les jeunes diplômés que l'on peut observer quelques désillusions. "C'est vrai qu'il existe un problème du côté des entreprises, qui peuvent avoir des parcours et des postes trop formatés", explique Denis Lapert, le directeur de Télécom Ecole de management. Mais dans son bureau, ce dernier reçoit également des plaintes… de la part des recruteurs. La raison ? Ses diplômés ne se comportent pas toujours très bien.

"Certains sont un peu chiens fous, courent après les salaires sans se pencher sur la mission. Et quand cela ne marche pas, ils rejettent la faute sur l'entreprise et zappent rapidement", reproche Denis Lapert. De fait, le phénomène du "blues des diplômés" grandit en période de plein-emploi, lorsque les entreprises redoublent d'imagination pour attirer les diplômés. Ces derniers ont alors tendance à prendre ces promesses pour argent comptant… au risque de tomber de haut une fois en place.

http://www.lemonde.fr

19/03/2012

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