Cameroun – La corruption et la désaffectation des enseignants minent l’école

Cameroun – La corruption et la désaffectation des enseignants minent l’école
IPS – [20/02/04]
Sylvestre Tetchiada

YAOUNDE, 20 fév (IPS) – L’école camerounaise souffre de la paresse de ses élèves, de la recrudescence de pratiques ”mafieuses”, des effectifs pléthoriques et de la désaffection des enseignants auxquels s’ajoute la corruption qui a emballé tout le système, du secondaire au supérieur.

Les enseignements secondaire et supérieur sont si atteints par ce qu’on nomme couramment la ”crise de l’école” qui entraîne des troubles récurrents générés par une corruption rampante, mais également les départs massifs des enseignants vers d’autres professions.

”L’avenir de l’école camerounaise ne présage rien de bon. Dans les écoles, c’est la vente des places lors des inscriptions, l’achat des diplômes, la ‘modification’ des bulletins de notes, la sollicitation des faveurs des enseignants ou, encore, les détournements des frais de scolarité par des professeurs”, déclare, pessimiste, l’abbé Jean Claude Ekobena, secrétaire national de l’enseignement catholique.

De façon globale, aucun établissement scolaire de cet Etat d’Afrique centrale ne semble être à l’abri du phénomène de la corruption, qui est plus accentué dans les écoles des villes. ”La corruption à l’école n’est que le reflet de ce qui se passe dans la société en général”, souligne Jacob Mekoul, un enseignant de l’Université de Yaoundé I.

”L’école est plongée dans sa société d’immersion et ne peut ne pas ressentir les effets de ce fléau, car ceux qui fréquentent ces écoles vivent dans ce milieu où règne la corruption”, renchérit Claude Onguene, un parent d’élève.

En 1998 et 1999, l’organisation non gouvernementale (ONG) ‘Transparency International’ avait successivement classé le Cameroun comme le pays le plus corrompu du monde.

Mais les pouvoirs publics continuent de mener un combat acharné contre la corruption en milieu éducatif où ”la corruption est en passe de s’institutionnaliser”, selon Victor Pene, professeur de mathématiques dans un lycée de Yaoundé, la capitale camerounaise.

”Au mois de janvier dernier, nous avions reçu un parent d’élève venu se plaindre”, a expliqué, à IPS, Marianne Mebenga, présidente de l’ONG Ligue camerounaise pour l’éducation (LCE). ”Il voulait inscrire sa fille dans un lycée; l’intendant lui a exigé de débourser 100.000 francs CFA (192 dollars US), alors que le coût de l’inscription est de 7.000 FCFA (environ 13 dollars US). Il a fallu que nous nous mobilisions pour dénoncer cette pratique qui coûte cher aux parents”.

”Si on réussissait à supprimer ces pratiques là où elles existent, on pourrait demander aux parents de payer plus à l’Etat et de dépenser moins”, ajoute Mebenga.

Pour endiguer la corruption au sein des lycées, les pouvoirs publics ont créé des commissions d’inscription des élèves, et des cellules d’étude des dossiers d’admission dans différentes classes des établissements secondaires du pays. Ce n’est plus le proviseur du lycée qui inscrit les nouveaux élèves comme par le passé.

A cette mesure, s’ajoute la création des commissions d’attribution des marchés auprès de ces établissements. Elles sont présidées par des personnes ne faisant pas partie de l’administration de l’éducation nationale et des personnalités indépendantes issues d’horizons divers, parfois de la société civile.

Le 10 février, le président camerounais, Paul Biya, a reconnu, dans un message à la jeunesse, l’ampleur de la corruption et ses méfaits dans la crise de l’éducation au Cameroun.

”Je vous invite”, avait dit Biya aux jeunes, ”à poursuivre ce combat difficile que nous menons contre la corruption, ce mal qui ronge notre société et freine notre marche vers le progrès. A ce sujet, je remarque avec plaisir que la morale et l’éducation civique ont reconquis leur place dans notre système scolaire”.

Cependant, certains officiels du ministère de l’Education nationale font observer que la corruption seule ne saurait être tenue pour responsable de la décadence actuelle du système éducatif. ”Où aviez-vous laissé ces enseignants qui quittent la barque tous les jours?”, s’est interrogé Marcel Mvondo, Atangana, un professeur de lettres à Yaoundé.

”Depuis quelques années, les grèves récurrentes des enseignants réclamant une augmentation de leurs salaires mettent à mal l’école. Et à la paresse, l’absentéisme ou le départ massif de plusieurs enseignants restent un autre problème qui nécessite une solution. Sans cela, notre système éducatif restera longtemps englué dans sa crise”, a indiqué, à IPS, un conseiller du ministère de l’Education nationale qui a requis l’anonymat.

”Depuis 1994, nous avions enregistré au moins 600 départs volontaires d’enseignants du secondaire, 1.000 ou 2.000 du primaire. Et dans le supérieur, c’est plus de la moitié des effectifs des professeurs d’université qui ont choisi d’aller ‘vendre’ leur savoir à l’étranger depuis 1990”, souligne le même conseiller.

Alexandre Sokoudjou, un ancien professeur d’histoire, qui s’est reconverti dans les affaires, explique : ”Je suis sorti de l’Ecole normale supérieure en 1997. Affecté dans le nord du pays, j’y ai vécu huit mois sans salaire. Lorsque le salaire est arrivé, c’était minable. Et quand je me suis mis à penser le nombre d’années que j’ai passées sur les bancs, j’ai estimé que mon talent pouvait se vendre mieux ailleurs. Raison pour laquelle j’ai viré dans le commerce. Et cela paie dix fois mieux!”.

Dans les rues des grandes villes du Cameroun aujourd’hui, la plupart des commerçants à la sauvette sont des anciens ”normaliens” reconvertis comme leur collègue Sokoudjou. Certains ont choisi le chemin de l’exil, tandis que d’autres se recyclent dans des métiers jugés plus rémunérateurs.

Cette situation a irrité le ‘Social Democratic Front (SDF), un parti politique de l’opposition. Il a violemment dénoncé cette situation, cette semaine, soulignant ”les sommes et le temps mis pour former des enseignants qui choisissent finalement d’abandonner la craie, faute de mieux”.

”Cela dénote le niveau de dégénérescence atteint par notre société”, ajoute le professeur Tazoacha Assongany, secrétaire général du SDF.

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