CAMEROUN – Quelle Université pour le Cameroun de demain ?

Universités d’Etat : Le Minesup prépare la rentrée 2015 .M. Maurice Tchuente commande un rapport sur l’avenir de l’enseignement supérieur au Cameroun.
Xavier Deutchoua
Quelle Université pour le Cameroun de demain ?". Ainsi s’intitule un rapport présenté mardi dernier à Yaoundé aux recteurs des Universités d’Etats et, mercredi, aux responsables et enseignants de l’université de Dschang. Ce rapport devra, selon nos informations, être présenté aux enseignants des Universités de Buéa le lundi 21 juin et aux enseignants de l’Université de Douala le mardi 22 juin 2004, l’objectif étant, à terme, de le présenter pour échanges et discussions, aux enseignants de toutes les universités d’Etat. Ce document de 47 pages est le fruit du travail du Comité technique de réflexion pour l’amélioration du système national de l’enseignement supérieur. Mis sur pied le 03 mars 2004, avec pour membres Valentin Nga Ndongo et Fabien Nkot (rapporteurs), Ajaga Nji, Henri Eyebe Ayissi, Rose Leke, Simo, Maurice Aurélien Sosso, le Comité que préside Ambroise Kom avait reçu, entre autres missions, celle de "de mener des réflexions approfondies sur les problèmes dominants actuels de l’enseignement supérieur et préconiser des orientations stratégiques ou toutes autres mesures susceptibles de concourir à l’amélioration du système national de l’enseignement supérieur pour la période 2005-2015.". Mission accomplie en un mois.

Daté d’avril, ce rapport est un diagnostic du système universitaire au Cameroun, assortie de propositions audacieuses. A première vue, le Cameroun dispose d’une université. Mais, estime les rapporteurs, il s’agit d’une université "extrovertie", sans ancrage dans le vécu quotidien des Camerounais. C’est une université qui a secrété une élite qui doute d’elle même, et porte un regard négatif sur l’Afrique, ses fils et ses valeurs. Formaté pour servir les intérêts du "bloc au pouvoir", les produits de l’université des années 60 à 80 ont verrouillé le système d’ascension sociale. Il est difficile aujourd’hui à un fils de paysan de changer de statut social par le simple fruit de ses prouesses académiques, à l’université du Cameroun. Outre les élites issue des facultés, les rapporteurs pointent du doigt l’Enam, "véritable laboratoire des décideurs de la république", soupçonnée de favoriser le phénomène de "stratification sociale". Confusément, les populations sentent donc que leur avenir n’est pas assuré au Cameroun. Et si les universités d’Etat reçoivent encore des milliers d’étudiants chaque année, c’est faute, pour les parents, de rassembler suffisamment de ressources pour envoyer leur progéniture à l’étranger.

L’université camerounaise est donc au cœur du mal de la société camerounaise Elle s’est montrée relativement incapable d’apporter des solutions à nos problèmes, du moment où les savoirs qu’elle véhicule sont souvent sans rapport avec les préoccupations et les problèmes effectifs des populations. Pourtant, elle regorge d’experts, de patriotes suffisamment outillés et conscients de leur rôle d’agents de développement. Les rapporteurs en veulent pour preuve le pilotage avec brio du dossier Bakassi par le professeur Maurice Kamto. Nombre d’universitaires camerounais compétents, souffre de marginalisation et d’absence de légitimation. Las d’attendre la sollicitation de leur savoir-faire, certains sombrent dans le découragement. D’autres se positionnent à l’extérieur, dans des cabinets conseils et des bureaux d’études basés à l’étranger auxquels les dirigeants camerounais font recours.
Le Comité d’expert commis par le Minesup pour réfléchir sur les problèmes de l’Université reprend à son compte les conclusions des précédents rapports sur les universités d’Etat, commandés par les ministres Jean Marie Atangana Mebara et Maurice Tchuente.

Il est plus ou moins reproché à la réforme universitaire effectuée en 1993, d’avoir simplement multiplié par six et aggravé les maux de l’ancienne université de Ngoa-ékellé. Les effectifs ne cessent de progresser, les infrastructures sont insuffisantes et inadaptées, une crise morale et de vocation s’est emparé du corps enseignant, les objectifs assignés aux universités et aux établissements sont plus quantitatifs que qualitatifs, les missions de l’université ne sont pas adaptés à notre environnement, les ressources allouées sont limitées, la bureaucratie étouffe l’initiative, les programmes obéissent plus à des exigences administratives q’aux besoins de la société, la qualité des candidats au recrutement baisse sans cesse.
Après ce diagnostic sans complaisance, les auteurs du rapport proposent des solutions concrètes [lire encadré ci-dessus] Tel qu’ils nous apparaissent, certains des auteurs de ce rapport sont de ces hommes extrêmement exigeants envers eux mêmes, autant qu’envers les autres, qui se passionnent pour ce qu’ils font, et ne font que ce qui les passionne. Vont-ils communiquer leur passion à toute la communauté universitaire ? Vont-ils réussir à allier le ministre de l’enseignement supérieur dans leur plaidoyer en faveur d’une indigénisation de l’université ? On pourra le vérifier au sort que connaîtront les propositions contenues dans leur rapport. Un de plus.

Quelques propositions concrètes

1. De l’enseignement et de la recherche
On note une absence de continuité entre les programmes d’enseignement universitaire et les programmes d’études secondaires. Peut-être cela est-il dû à la séparation organique des différents ministères en charge des questions d’éducation. La formation participant d’un continuum, il est souhaitable que le cycle primaire préfigure, au plan des programmes, le cycle secondaire. De la même façon, il est tout aussi souhaitable que le cycle secondaire prépare aux études supérieures. A titre d’illustration, il n’est pas bon qu’un jeune se destinant aux études juridiques ou sociologiques ne découvre ces disciplines qu’à l’Université.
A défaut de fusionner toutes les administrations chargées des différents niveaux d’enseignement en un seul ministère, il serait souhaitable de mettre sur pied une structure responsable de l’harmonisation entre les divers cycles d’enseignement.
De même serait-il souhaitable d’envisager la création ou la réactivation des structures permanentes de coordination des programmes de recherche du ministère de la recherche scientifique et celui de l’enseignement supérieur. Cela permettrait un échange d’expertise mutuellement bénéfique.

Il est également important que soit maintenue l’option d’un enseignement supérieur prioritairement technologique sans pour autant négliger l’enseignement et la recherche en sciences humaines. En clair, nous percevons un enseignement supérieur camerounais où la formation serait scientifique au moins dans les 3/5 de 1’offre. Dans un premier temps, il s’agirait essentiellement de formations de type Bac+3, débouchant sur une licence de science fondamentale et/ou de science appliquée ou de technologie, genre, maths appliquées; chimie ou physique appliquée, biotechnologie, informatique et réseaux, réseaux et télécoms; maintenance, communication, etc. Par la suite, une formation complémentaire de trois ans pourrait être proposée à une minorité de diplômés de ce type. Nos facultés devraient être profondément restructurées pour offrir en plus des formations fondamentales, des formations appliquées. A côté d’elles, les établissements offrant des formations d’ingénieurs pourraient être également restructurés pour ne plus se consacrer qu’aux formations complémentaires. De la sorte, on pourrait avoir de grands centres de formation d’ingénieurs, par exemple, Yaoundé, Ngaoundéré, Dschang, Douala, Buéa, etc. Toutes les formations de type Bac+2 (IUT) seraient supprimées au profit des licences de technologie (Bac+3). Les IUT existants pourraient être aisément transformés en autant de facultés des sciences appliquées. (…)

Évidemment, ceci pourrait présupposer une restructuration en profondeur des diplômes de fin d’études secondaires (Bac ou GCE) qui auraient des dominantes conséquentes, de type, majeure en chimie, ou en physique ou en math ou en biologie, majeure double, type maths+physique, chimie+physique, chimie+blologie etc. De même qu’on pourrait avoir des majeures en langues vivantes, en sciences humaines, économie et droit, en lettres ou imaginer plusieurs autres combinaisons.
Dans le même temps et pour donner aux étudiants une nouvelle représentation d’eux-mêmes, il conviendrait d’instituer des enseignements obligatoires de culture et de civilisation africaines, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines, voire de créer des instituts d’études africaines. Parallèlement, des instituts/centres de recherches seront créés pour enseigner les civilisations étrangères. (…)
On pourrait envisager de supprimer ce qu’on appelle "professionnalisation" de l’enseignement pour véritablement instituer des formations par alternance ou plutôt des formations de type coopératif, i.e. des formations au cours desquelles l’État et les institutions publiques d’enseignement mettent à contribution les entreprises installées sur le territoire national pour offrir aux étudiants des stages d’études de manière systématique, au moins un stage de trois mois par an et par étudiant. (…)

Il faudrait que les enseignants soient contraints de préparer, avant leurs cours, un syllabus à l’intention des étudiants ; qu’une fiche soit confectionnée, par laquelle les étudiants d’une classe évaluent un professeur, au terme de son enseignement. Ils peuvent ainsi évaluer la correspondance de l’enseignement avec le projet décrit par le syllabus, l’élocution du professeur, sa disponibilité par rapport aux étudiants, la pertinence de son enseignement, son inclination à répondre aux questions posées par les étudiants, etc.
Ces propositions appellent la mise en place d’un comité de pilotage chargé de mettre en œuvre les modalités et les mécanismes d’évaluation permanente des enseignants. Un effort particulier devrait être fait pour que les programmes d’enseignement soient disponibles au public un à deux ans à l’avance. Ce qui permettrait aux uns et aux autres de faire des prévisions et à l’université de mieux se vendre et d’assurer sa crédibilité au plan international.

2. De la gouvernance
Il serait bon que les responsables à divers niveaux puissent rendre compte, de manière périodique, à leurs pairs, et que leur gestion puisse être sanctionnée. Pour ce faire, le mode de désignation des responsables devrait être revu. À défaut d’être élus, recteurs et autres doyens pourraient être désignés sur appel à candidature avec cahier de charges préalable. En tout cas, un système d’évaluation devrait être institué de sorte que les enseignants, les administratifs et les responsables, quel que soit leur niveau de responsabilité, puissent rendre compte de leurs actes. L’instauration d’une culture d’"accountability" au sein des institutions universitaires publiques serait nécessaire. Elle impliquerait la détermination de mandats explicites et à durée limitée pour les équipes dirigeantes; la mise en jeu de la responsabilité personnelle des managers des universités d’État sur la base de rapports d’évaluation interne et externe.

On pourrait envisager la création d’un Sénat composé des représentants des enseignants (3/4), des représentants de l’administration universitaire, des représentants du personnel d’appui, des représentants des étudiants. Le Sénat participerait à la définition des grandes orientations de la vie universitaire, contrôlerait la gestion, veillerait à l’éthique. Pour ce faire, pareil sénat comprendrait en son sein un certain nombre de commissions spécialisées. (…)
Avec la création d’un Sénat et l’amélioration sensible de la condition de l’enseignant, on peut même envisager une réduction drastique du nombre d’enseignants responsables de l’administration des institutions universitaires et de leurs divers établissements. Il suffirait alors de choisir des cadres techniques bien outillés pour s’occuper de la gestion sous la supervision de deux ou trois hauts responsables émanant du corps enseignant, que ce soit au niveau des institutions ou à celui des établissements. Cela nécessiterait la création d’un corps de personnels administratifs de l’université. Par ailleurs, il conviendrait de faire mettre au point un système permettant d’intégrer les étudiants dans la gestion des institutions. Les étudiants doivent pouvoir être employés dans des services comme la bibliothèque, les restaurants universitaires, les services informatiques, I’entretien du campos, la maintenance des équipements etc.

3. Du financement
– Pour résoudre de manière durable les problèmes financiers de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’autres voies devraient être explorées. Pourquoi ne créerait-on pas, par exemple, une redevance pour alimenter un fonds destiné à l’enseignement supérieur et qui serait prélevée sur tous les marchés publics dont la réalisation nécessite le recours à des savoirs produits par l’université ? D’autres secteurs tels que les mines, I’énergie, les forêts et la grande industrie pourraient être également sollicités. Ceci ne devrait cependant pas dispenser l’État d’assumer ses responsabilités régaliennes et de fournir un effort financier à un niveau raisonnable, se rapprochant au moins de la norme recommandée par les instances internationales compétentes. On pourrait également envisager la mise en place de mécanismes incitatifs pouvant faciliter la mobilisation de ressources complémentaires au niveau national et éventuellement à l’étranger (mesures fiscales, possibilités légales de créer des fondations des chaires subventionnées par des tiers. de recevoir des bourses d’excellence, etc.)

– Nombre d’enseignants en sciences sociales et humaines pourraient se constituer en conseils pour les administrations publiques. Les établissements de technologie pourraient bien créer des bureaux d’études pour rendre service aux collectivités locales et proposer des solutions aux divers problèmes de développement à l’échelle nationale et/ou régionale. Voilà qui pourrait résoudre, du moins en partie, le problème de financement des institutions publiques.
– Le salaire du personnel d’appui devrait être pris en charge dans la chaîne solde du Ministère des Finances et les subventions actuellement affectées à cet effet, utilisées à la fois pour le renforcement du fonctionnement académique et de la recherche et pour le financement des emplois étudiants sur le campus. (etc.)
– En plus des propositions pertinentes formulées lors des JUST et auxquelles nous souscrivons dans leurs grandes lignes, on pourrait envisager la création d’une structure autonome chargée de gérer un fonds destiné au financement de la recherche.

4 . Des infrastructures
L’équipement de l’université en matière de documentation exige, pour des raisons de coût mais également pour des raisons pratiques, qu’en plus des solutions traditionnelles, on exploite les possibilités offertes par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication en matière de gestion de la masse documentaire et d’accès aux sources d’information. De œ fait, le concept de bibliothèque centrale devrait être revu dans le sens d’une décentralisation permettant la création de modules spécialisés aussi bien au niveau des établissements que des départements mais intégrés dans un fichier central informatisé. Il devrait être créé une structure autonome pour la gestion d’une bibliothèque universitaire. Pareille structure aurait pour mission, notamment, de concevoir une politique de documentation et d’archivage, de monter des modules décentralisés, des centres spécialisés en charge de la constitution d’une mémoire des écrits publiés au Cameroun et sur le Cameroun ainsi que de la gérer en s’appuyant sur les moyens technologiques les plus avancés.
Source : http://www.quotidienmutations.net

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