Ecoles de gestion : la géopolitique au programme

Ecoles de gestion : la géopolitique au programme

Grenoble EM veut en faire une de ses priorités. De nombreuses autres écoles commencent à l’intégrer dans leur cursus.

La cause est entendue : pour les grandes écoles de gestion, l’international constitue un axe majeur de développement. Mais pour cela, elles ne peuvent se contenter de renforcer la dimension interculturelle de leurs enseignements, de multiplier les accords d’échange d’étudiants ou d’insister sur l’apprentissage des langues : elles doivent aussi élargir leur registre et s’intéresser désormais aux grands enjeux liés à la géographie des principales régions du monde (ressources naturelles, voies de communication…), à leur culture et à leur stratégie sur la scène mondiale. Autrement dit, il leur faut désormais intégrer les questions géopolitiques. « La compréhension des mécanismes géopolitiques est devenue une des clefs de la prise de décision des managers », observe Jean-François Fiorina, directeur de l’ESC Grenoble. Un point de vue que partagent nombre d’industriels : « Dans tous les pays où nous travaillons, nous devons regarder le monde tel qu’il est, et donc apprendre à le connaître, souligne Jean Gauthier, PDG de Pomagalski, spécialiste des remontées mécaniques et équipements pour stations de sports d’hiver. Cette ouverture est un impératif pour remporter des marchés. »

Une place significative

Tirant les conséquences de ce constat, Grenoble Ecole de Management (GEM) a décidé de faire de la géopolitique un de ses « chevaux de bataille » et vient d’annoncer une série d’initiatives dans ce domaine. Dès cette année, la discipline occupait ainsi une place significative au concours d’entrée à l’école. L’épreuve écrite d’« histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain » a vu son coefficient doubler. Et à l’oral, les candidats devaient commenter une carte de géopolitique contemporaine (les multinationales, la production de pétrole…). L’école a également organisé dans les grandes villes de l’Hexagone une série de conférences sur le thème de « l’Afrique dans la mondialisation », à l’intention des classes préparatoires. Une initiative relayée ensuite par l’ouverture d’un blog (*). Dans le même esprit, des professeurs de l’école ont contribué à la création d’une rubrique Intelligences géopolitiques dans le magazine « Espace Prépas ».

Le lien avec la culture générale

Enfin, la discipline va monter en puissance dans le programme « grande école » de GEM, pour devenir dès la rentrée un enseignement de tronc commun à part entière. Avec des cours, mais aussi des témoignages de dirigeants d’entreprise et des études de cas. Suivant les principes de la « pédagogie différenciée » chère à l’école, les élèves pourront ajouter à ce dispositif des enseignements électifs, voire suivre un parcours spécifique pouvant aboutir à un double diplôme, en France ou à l’étranger.

« L’enseignement de la géopolitique s’inscrit dans le droit-fil des enseignements de culture générale [philosophie, lettres, économie…] dispensés dans les classes préparatoires et qui constituent en France une tradition forte, explique Thierry Grange, directeur général de Grenoble EM. Cette spécificité est un atout que nous n’utilisons pas assez dans nos programmes. La géopolitique, appuyée sur la culture générale, peut être la réponse française à la mondialisation. Elle peut être une clef pour la conquête de nouveaux marchés et de nouveaux territoires. »

Au demeurant, plusieurs autres « business schools » intègrent, sous des formes variées, la géopolitique. Le groupe HEC s’est ainsi doté de deux « think tanks », Eurasia Institute et, plus récemment, l’Institut de l’Europe, chargés de plancher sur ce type de sujet. Le MBA de l’école propose aussi des cours ayant trait à la géopolitique, de même que le Trium MBA, en collaboration avec le département Political science de la London School of Economics. Sans oublier le mastère spécialisé management des risques internationaux, très orienté sur ce type d’approche. « Sans la vision géopolitique, il est impossible de comprendre comment fonctionnent certains secteurs d’activité comme l’industrie pétrolière, estime Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC. De même, les évolutions démographiques et climatiques vont modifier en profondeur les grands équilibres économiques mondiaux. Mais il est vrai que la géopolitique est une discipline difficile à enseigner. Nous devons, en particulier, éviter deux écueils : devenir une école de science politique et nous contenter d’apporter un vernis de culture générale. » Pour assurer ces enseignements, HEC fait appel à la fois à des professeurs de science politique et à des experts des relations internationales.

Des cours transversaux

« De façon générale, nous devons donner à nos étudiants toutes les clefs pour comprendre le monde : les rapports de force, les enjeux, les problématiques culturelles », insiste Jean-Philippe Muller, directeur de la stratégie et du développement d’Audencia. L’école nantaise utilise à cet effet des cours transversaux (par exemple sur les influences culturelles, les grandes zones du monde…), des conférences, mais aussi des filières de spécialisation offrant un éclairage sur une région du monde, comme la filière Asie-Management, ou la Via Hispanica.

Mais il est aussi une autre raison qui pousse certaines écoles de gestion à s’intéresser à la géopolitique : la concurrence avec les instituts d’études politiques (IEP), et notamment celui de Paris, qui tend à se rapprocher d’une « business school ». « Si Sciences po se tourne vers le management, pourquoi n’irions-nous pas à la culture générale et à la géopolitique ? », interroge ainsi sans ambages Thierry Grange. On pourrait aussi imaginer des partenariats – par exemple des cours donnés dans les « business schools » par les professeurs des IEP, voire des enseignements communs. Concurrence ou coopération ? La question de la géopolitique pourrait bien devenir le prélude à de grandes manoeuvres entre « business schools » et IEP.

JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI
[ 14/09/07 ]
http://www.lesechos.fr

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