Le système scolaire sud-africain, amplificateur d’inégalités
SOWETO (AFP) 18/01/08 — Parents séropositifs, grossesse précoce, dépendance à la drogue:les adolescents de Soweto partent dans la vie avec un lourd handicap que leur scolarité au lycée Ibhongo a peu de chances de corriger.
Cet année, seul un tiers des élèves de ce lycée décrépit aux vitres brisées et aux portes défoncées, au coeur du plus grand township d’Afrique du Sud, a décroché le baccalauréat, contre 65% dans l’ensemble du pays.
"Ce n’est pas que nos élèves n’ont pas envie d’apprendre, mais pour des raisons sociales ou de santé, ils perdent tout intérêt dans l’école", résume le principal, Kenneth Mabuza, déjà fatigué quelques jours après la rentrée 2008.
"Certains vivent tous seuls dans des taudis, d’autres s’occupent de parents malades du sida. Trois ou quatre filles sur dix tombent enceintes et abandonnent leurs études."
Ces situations de détresse sont fréquentes dans la première économie du continent, dont 43% de la population vit sous le seuil de pauvreté, essentiellement dans les townships et les zones rurales.
"Le système scolaire sud-africain est en crise: il ne fournit pas la main-d’oeuvre qualifiée nécessaire à la croissance économique du pays. Et au lieu de corriger les inégalités du passé, il les aggrave", regrette Graeme Bloch, spécialiste de l’éducation à la Banque de développement pour l’Afrique australe.
Sous l’apartheid, les programmes et les moyens alloués aux écoles variaient en fonction des groupes ethniques: Les enfants noirs ne devaient apprendre que le minimum pour comprendre les ordres de leurs futurs patrons.
A la chute du régime raciste en 1994, le premier président noir, Nelson Mandela, avait fait de l’éducation une priorité. Les programmes avaient été revus et d’importants moyens débloqués.
Aujourd’hui, le ministère de l’Education reçoit 18 à 21% du budget national. "On a investi beaucoup de ressources, mais ce n’est pas assez", souligne le chercheur.
Près de 17% des écoles n’ont toujours pas d’électricité, 80% sont sans bibliothèque, 61% ont des sanitaires insuffisants…
Les syndicats assurent que l’Afrique du Sud manque de 15.000 à 30.000 enseignants. En primaire, certaines classes comptent plus de 100 élèves.
"Ce métier est mal payé, explique le proviseur Mabuza. Avec un salaire brut de 8.000 rands (800 euros), rien n’attire les jeunes vers la profession."
Plus grave, selon la ministre de l’Education Naledi Pandor, les enseignants manquent de conscience professionnelle. Lors d’une inspection surprise au lycée Ibhongo, elle ne les a pas épargnées: "les écoles qui réussissent ont des professeurs compétents et motivés."
Et de dénoncer le système d’évaluation des professeurs par leurs pairs. "Les collègues tendent à s’évaluer de manière positive."
Le directeur administratif de l’éducation pour Soweto, Sipho Mkhulise, attribue l’absence d’implication des enseignants noirs à l’apartheid. "Ils avaient développé une culture de désobéissance. Le problème, c’est que leur attitude n’a pas changé."
Dans un pays qui compte 11 langues officielles, l’utilisation de l’anglais comme langue d’enseignement à partir de 10 ans est un autre facteur d’inégalités.
Zwelinge Mavimbela, élève de terminale, en est malade: "Quand je pose une question en zoulou à ma prof de maths, qui est une Venda, elle ne me comprend pas et me force à m’exprimer en anglais. Mais les maths en anglais…"
Une étude menée dans la province du Western Cape a montré que, chez les 12-13 ans, seuls 5% des élèves des townships avaient un niveau de lecture suffisant, contre 85% pour ceux des anciens quartiers blancs.
Au moment des résultats du diplôme de fin d’études secondaires en décembre, la presse a publié les photos des élèves ayant obtenu des mentions: les trois quarts étaient blancs.
