Les pays riches attirent moins les immigrés

Jeudi 7 avril 2005 Imprimer cet article
RAPPORT –
Les pays riches attirent moins les immigrés
Source : http://www.agefi.com

Plus proches, plus qualifiés et moins nombreux. L’ OCDE dessine un portrait des réfugiés économiques à rebours des clichés.

Fabrice Delaye

Le rapport sur l’immigration que vient de publier l’OCDE* a curieusement rencontré peu d’écho en Suisse où pourtant la campagne référendaire sur Schengen fait, une fois de plus, de l’immigration l’alpha et l’oméga de la vie politique. Il est vrai qu’il est plus confortable pour les politiciens de s’étriper à coup de clichés que de se pencher sur les chiffres.

D’autant que ceux que présentent l’OCDE sont dérangeants pour tous les camps. Oui, les politiques d’asile restrictives ont un effet sur les demandes, sans que le cas de la Suisse soit discernable. Le nombre de demandeurs a reculé de 25% dans l’UE en 2004. Non, l’immigration n’est pas la porte redoutée du dumping salarial. Les immigrés viennent de moins en moins loin. Ils sont de mieux en mieux formés. Et surtout, ils viennent de moins en moins nombreux, ce qui ouvre une question abyssale: le décollage économique des pays d’origine rend-il les pays riches moins attractifs?

A l’OCDE, Jean-Christophe Dumont, le coordinateur du rapport, appelle à la prudence. «Les flux migratoires restent historiquement élevés. Et, s’il y a inversion de tendance, il faut se souvenir que des événements géopolitiques imprévus peuvent provoquer un renversement.» Ceci dit, il confirme que «la très forte croissance de l’immigration vers les pays riches qui a accéléré depuis 95 s’est stabilisée en 2003.»

Aux Etats-Unis, l’immigration permanente a même reculé de 25% cette année là. «Cela s’explique en partie par des déformations statistiques, mais pas seulement», poursuit Jean-Christophe Dumont. En Europe, le recul est marqué en Allemagne (-20%) et aux Pays-Bas tandis que la Suisse enregistre une stabilisation. A l’inverse, des pays comme l’Italie et l’Espagne connaissent toujours une forte progression.

Le niveau monte

Avec la globalisation, l’immigration se transforme en circulation. Entre 2001 et 2003, les flux d’étudiants étrangers ont augmenté de 36% au Royaume-Uni et de 30% en France. «De manière générale, le niveau de qualification monte», explique Jean-Christophe Dumont. «En Grande-Bretagne, la part des qualifiés dans les nouveaux migrants a été multipliée par quatre depuis 1998.»

Les besoins du marché du travail conditionnent cette évolution. Au point de conclure que le recul de l’immigration en Allemagne vient de sa panne de croissance? Il semble que ce soit moins une perte d’attrait que la concurrence de nouveaux centres d’opportunités qui explique le phénomène. Voisines de l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie, sont passées du statut de pays d’origine ou de transit à celui de pays d’accueil. L’ OCDE nous apprend que c’est aussi le cas de l’Afrique du Sud, de la Malaisie et du Maghreb. Il est temps de revoir ses clichés.

* Tendances des migrations internationales 2004

3 questions à Jean-Philippe Chauzy

Porte-parole de l’Organisation internationale des migrations à Genève

L’ OCDE relève une stabilisation de l’immigration vers les pays riches, est-ce cohérent avec vos propres données?

C’est vrai en Europe où l’on constate que l’histoire de l’élargissement est celle d’une transformation des pays d’origine en pays d’accueil. L’exemple irlandais est symptomatique et il se reproduit avec la Pologne et la Hongrie.

Le décollage économique de nombreux pays émergeants fixe-t-il les populations?

Parfois, mais la croissance ouvre aussi la possibilité à un plus grand nombre de gens d’assumer un projet migratoire. En Chine, par exemple, ce sont des gens qui ont atteint un certain revenu qui peuvent payer les 15.000 à 30.000 dollars que demandent les filières clandestines. L’émigration est plurifactorielle. Dans certains cas, elle joue un rôle sociologique, quelque chose comme un rite de passage. L’existence de diasporas est aussi déterminante.

Quel est le rôle des expatriés dans le décollage des économies?

Les flux de ressources des expatriés vers leurs pays d’origine dépassent maintenant ceux de l’aide au développement. Ceci dit, on sait que les expatriés investissent dans leur pays d’origine ou reviennent pour enrichir ces pays avec leur expérience en fonction de critères de gouvernance. – (FD)

Angle

La chasse aux travailleurs immigrés

hautement qualifiés est ouverte

En Suisse, la fuite des cerveaux fait régulièrement l’objet d’appels incantatoires. Ils font généralement long feu parce qu’ils ne sont fondés que sur des impressions anecdotiques. Incapable de s’ancrer sur une analyse factuelle, le débat dérive, puis coule pour aller rejoindre les serpents de mer.

Ce n’est donc pas le moindre des mérites du rapport de l’OCDE que de jeter la première lumière statistique sur les mouvements globaux des immigrés et des expatriés hautement qualifiés à partir de l’ensemble des ressources des pays membres et ce celles disponibles ailleurs.

Les économistes du château de la Muette remarquent que les pays qui pratiquent une politique d’immigration sélective comme l’Australie, l’Irlande, le Canada et le Royaume-Uni ont bien la plus forte proportion de travailleurs hautement qualifiés parmi leurs migrants (de 30% à 42%). Mais ils remarquent aussi que dans la plupart des pays de l’OCDE, l’émigration des personnes fortement qualifiées est plus que compensée par une immigration de même nature venant d’autres pays.

En Suisse, par exemple, les expatriés représentent environ 6% de la population totale, mais près de 13% de la population des personnes classées par l’OCDE comme hautement qualifiées. Au total, la part des expatriés originaires d’un autre pays de l’OCDE et ayant une formation supérieure est de 36,5% sur un total de 262.456 personnes. C’est moins qu’aux Etats-Unis (50%), qu’au Japon (50%), qu’en Grande-Bretagne (41%) ou qu’en Suède (40%). Toutefois, la Suisse fait partie des pays qui disposent d’un solde migratoire entre immigrés et émigrés de niveau d’instruction supérieure nettement favorable. Les immigrés très qualifiés sont trois fois plus nombreux que les cerveaux qui s’expatrient, contrairement à l’Allemagne et à la Grande Bretagne où le solde est équilibré.

Au sein de la zone OCDE, seuls les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, la Suisse, l’Espagne, la Suède, le Luxembourg et la Norvège sont (dans cet ordre) bénéficiaires net des migrations de travailleurs hautement qualifiés au départ d’autre pays de l’OCDE. Mais l’organisation remarque qu’à la fin des années 90 de nombreux pays ont amendé leur législation. La chasse aux cerveaux est ouverte. – (FD)

l’avis de l’agefi fabrice delaye

La Suisse a vocation

au co-développement

Où sont les hordes d’immigrés en provenances des ex-pays de l’Est qui à peine devenus citoyens de l’Union européenne allaient pratiquer le dumping bilatéral en Suisse? Où sont les demandeurs d’asile d’Afrique et du Moyen-Orient qui, transitant par cargos entiers, depuis les «portes ouvertes» espagnoles et italiennes, allaient se jeter sur ce que Fernand Reynaud appelait, dans les années 50, «la brioche des Suisses»? Dans les statistiques récentes, les demandes d’asile plongent. Et les nouveaux immigrés viennent plus de France et d’Allemagne que de Yougoslavie ou de Turquie. La Suisse commence à mesurer que dans la chasse mondiale aux talents pour son économie, dix ans de commentaires ne l’ont pas empêchée de regarder les trains partir sauf en ce qui concerne les jeunes diplômés. Malheureusement, ces réalités sont masquées par les extrémistes de tous bords. Leur schizophrénie empêche une politique d’immigration qui soit autre chose qu’une suite décousue et crispée de régularisations et de renvois. Il y a eu la guerre en Yougoslavie, les bilatérales, arrive Schengen: où est la stratégie? Avec 20% d’étrangers dans sa population, la Suisse aurait pourtant vocation à trouver une immigration qui combine ses intérêts avec sa générosité.

De ce point de vue, l’évolution du co-développement ouvre une piste intéressante. Pour simplifier, il s’agit d’aider le développement dans les pays d’origine en s’appuyant sur les populations immigrées et en particulier les diasporas scientifiques et techniques. L’accord sur l’échange de stagiaires entre la Suisse et les Philippines du 25 juillet 2003 va dans ce sens. Mais la double tradition humanitaire et entrepreneuriale de la Suisse est capable de mieux. Loin de s’opposer comme c’est le cas sur la scène politique, elle a avec le co-développement un champ fertile et matière à consensus. – (FD)

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