Les universités africaines saturées et démunies

Les universités africaines saturées et démunies

Avec cinq mois de retard, les cours reprennent cette semaine à l’université de Ouagadougou, longtemps paralysée par une grève à rebondissements des enseignants. Les étudiants s’apprêtent à reprendre leurs habitudes : se lever à cinq heures pour décrocher une place pour un cours en amphi qui commence à huit.

En attendant que Ouaga-II, dont la première pierre a été posée en 2008, voie le jour. En attendant aussi que la "politique de double ou triple flux", envisagée pour absorber des effectifs qui ont encore grimpé en flèche cette année, soit mise en place. "Un professeur donnera deux fois, voire trois si besoin, le même cours au même niveau", explique le président de l’université, Jean Koulidiati.

D’où la nécessité de signer une paix des braves avec les professeurs, qui ont obtenu une hausse du taux des heures supplémentaires. Avec ses 42 000 étudiants (+ 25 % par rapport à 2007), ses filières bondées et ses conflits sociaux à répétition, le plus grand campus du Burkina Faso illustre les maux de l’enseignement supérieur africain : un trop-plein d’étudiants de plus en plus ingérable, une qualité de l’enseignement en baisse, des débouchés absents…

Déjà pleines à craquer, les universités africaines risquent de déborder. Preuve que l’éducation de base et l’accès au secondaire progressent, cette massification promet de se transformer en explosion des effectifs. De 400 000 en 2005, le nombre des étudiants dans les vingt pays d’Afrique francophone – Maghreb non compris – frôlera les 2 millions en 2015 !

Soit une croissance de plus de 150 % dans des pays comme le Mali, le Cameroun, le Bénin et le Sénégal, ou comprise entre 90 % et 150 % en Guinée, au Togo, au Gabon et en Mauritanie, selon Pierre-Antoine Gioan, auteur d’une étude sur l’enseignement supérieur en Afrique francophone publiée par la Banque mondiale.

Confrontée à la même envolée des effectifs, l’Afrique anglophone a opté pour une hausse des frais d’inscription et pour une sélection à l’entrée des universités. Le secteur privé, qui progresse aussi fortement dans la partie francophone (plus de 50 % des étudiants du Burundi y sont inscrits), y est florissant. Les universités d’Afrique francophone tentent, elles, d’absorber ces masses de jeunes. L’équité y gagne sans doute, mais la qualité des enseignements s’en ressent.

Cet afflux de diplômés, dans des pays où le pourcentage d’accès à l’enseignement supérieur est très faible – environ 3 %, contre 8 % dans des pays à niveaux de développement comparable comme le Vietnam ou le Cambodge – et où les besoins en développement sont immenses, pose aux gouvernements une équation quasi impossible à résoudre.

Faute de moyens, d’abord. Pressés par la communauté internationale d’atteindre les objectifs du Millénaire, ils privilégient l’accès à l’éducation de base. Historiquement, les pays africains ont toujours opté pour des politiques d’aide sociale généreuse – via les bourses, le logement et les repas -, qui s’avèrent, aujourd’hui, très difficiles à maintenir. "Les avantages que les gouvernements pouvaient consentir pour un système d’élite ne sont plus tenables dans un système de masse", résume M. Gioan.

Les moyens pédagogiques, eux, stagnent. "En physiologie végétale, nous avons le même matériel depuis 1974, un seul labo pour 400 à 500 étudiants, qui n’ont plus qu’une séance toutes les deux semaines", explique Amadou Ouédragou, au département de biologie de la faculté de "Ouaga".

Faute de débouchés, ensuite. Alors que les "sorties prévisibles" de jeunes diplômés dépasseront largement les trois millions en 2015, les "besoins cumulés" en emplois dans les secteurs public, privé et rural tourneraient autour de 1,4 million d’emplois, selon Pierre-Antoine Gioan.

USINES À CHÔMEURS

Faute de formations adaptées, enfin. Comme sur le campus burkinabé, où la sociologie, l’économie et le droit drainent le plus grand nombre d’étudiants de première année, alors que les filières professionnelles sont embryonnaires. Les universités africaines, usines à chômeurs ? 25 % des diplômés de l’enseignement supérieur sont sans emploi, et 30 % des jeunes diplômés sont surqualifiés au regard de l’emploi occupé, souligne un rapport du pôle éducation de l’Unesco de Dakar.

"Avec moins de 5 % d’une classe d’âge à l’université, il n’y a pas assez d’étudiants au Burkina", affirme pourtant M. Koulidiati. Pas assez, mais déjà trop, compte tenu des maigres possibilités d’emploi à la sortie, à l’exception d’une dizaine de filières sélectives, dont certaines payantes, qui concernent quelque 500 étudiants et des secteurs porteurs comme l’environnement, les métiers des mines… Comme le résume Joseph Paré, ministre des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche, "le recrutement massif de fonctionnaires, c’est fini".

Pas sûr pourtant que le message soit passé auprès des étudiants. Tous les espoirs de Gaëtan, qui vient de valider sa 3e année à la faculté de droit de Ouagadougou, continuent de se porter sur "les concours de la magistrature" qu’il tentera cette année. Le privé, il ne l’envisage pas, car "nous avons été formés pour travailler pour l’Etat", dit-il.

Brigitte Perucca
05 02 08
http://www.lemonde.fr

CHIFFRES

Effectifs. Le nombre d’étudiants en Afrique francophone a été multiplié par plus de cinq entre 1980 et 2005. La tendance est la même en Afrique anglophone. A titre d’exemple, entre 1991 et 2004, le nombre d’étudiants est passé de 207 982 à 1 289 656 au Nigeria, de 34 076 à 172 111 en Ethiopie et de 13 700 à 70 000 au Ghana.

Budget. La dépense moyenne par étudiant en Afrique francophone a été divisée par deux, entre 1990 et 2000. Plus de la moitié des budgets (55 %) est affectée aux dépenses sociales, 25 % aux dépenses de personnel et 20 % aux dépenses académiques.

Secteur privé. Son poids peut varier de moins de 10 % à 30 %, selon la politique d’incitation des pays.

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