Ngozi Okonjo-Iweala, une lutteuse pour l’Afrique

Ngozi Okonjo-Iweala, une lutteuse pour l’Afrique

Il faut sauver l’Afrique. Le G20 et la Banque mondiale l’ont répété, le 26 et le 27 avril à Washington, tant est grand le risque de voir, sous l’effet de la crise, basculer 6 millions d’Africains dans la très grande pauvreté (1,25 dollar par jour). Ngozi Okonjo-Iweala est l’un des hérauts de ce combat pour le développement.

Avec son boubou bigarré et sa coiffe crânement portée, on prendrait ce bout de femme pour une de ces mamas africaines qui, de Dakar à Dar Es Salam, sont les vraies divinités des foyers. Les petites lunettes d’intellectuelle derrière lesquelles pétillent ses yeux de jais laissent deviner qu’elle appartient à un univers infiniment plus complexe. A 54 ans, cette Nigériane francophone occupe le poste de directrice générale de la Banque mondiale depuis un an et demi. Elle est l’une des deux femmes les plus influentes d’Afrique, l’autre étant la présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf.

Née dans le delta du Niger d’une professeur de sociologie et d’un professeur d’économie, elle a développé un acharnement au travail qui lui a fait décrocher sans coup férir les diplômes des universités américaines Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Elle entre à la Banque mondiale en 1982, et affirme sa prédilection pour le terrain. Pour aider les pays de la zone franc sortant d’une dévaluation traumatisante, pour relever le Rwanda exsangue, pour développer l’agriculture au Moyen-Orient, elle n’hésite pas à faire des centaines de kilomètres de piste. "Ce n’est pas quelqu’un qui se réfugie dans les Hilton, souligne Olivier Lafourcade, l’un de ses supérieurs d’alors. Au fin fond du Congo, elle vient s’assurer que les projets financés par la Banque sont menés à bien. Elle est en empathie avec le milieu rural."

Elle devient secrétaire du conseil d’administration de la Banque au temps de la présidence de James Wolfensohn. "Un boulot infernal ! explique Pierre Duquesne, ancien administrateur pour la France auprès de la Banque mondiale, car il faut concilier les désirs des 24 administrateurs représentant les Etats membres de l’institution avec ceux de la direction. Elle y réussissait sans se fâcher avec personne."

Au début des années 2000, le président Wolfensohn lui demande de conseiller le chef de l’Etat nigérian Olusegun Obasanjo, qui désire rendre moins opaque la gestion d’un pays classé au premier rang des Etats les plus corrompus de la planète. Obasanjo en est tellement satisfait qu’il lui propose le ministère des finances, en 2003.

Elle accepte. "Pour, dit-elle, servir (son) pays" qu’elle enrage de voir traîner une réputation sulfureuse "par la faute de quelques-uns". Et Dieu sait s’il lui en coûte de quitter son mari et ses quatre enfants restés à Washington. Les débuts sont sportifs, puisque dès sa nomination elle met sa démission dans la balance pour conserver le budget et le Trésor qu’Obasanjo parlait de lui retirer. Les années suivantes ne le sont pas moins, car Ngozi – comme on l’appelle universellement – ne transige pas avec ses principes.

L’équipe qu’elle dirige privatise les aciéries déficitaires et développe la concurrence dans les télécommunications au grand dam des syndicats. Elle publie les recettes de l’or noir et les sommes versées aux collectivités locales, pour que "l’argent du pétrole aille dans les écoles et les hôpitaux plutôt que dans les poches de quelques-uns".

Et elle cogne. Les procédures qu’elle lance conduisent en prison le chef de la police nationale. Trois ministres, deux juges, deux amiraux et un gouverneur sont révoqués. Elle y gagne le surnom de "Okonjo-Wahala", ce qui veut dire en langue yorouba "la femme à problèmes", autrement dit l’emmerdeuse. Des menaces de mort s’ensuivent.

Elle s’attaque à la réduction de la dette de 30 milliards de dollars de son pays. "Elle nous a bluffés", reconnaît Serge Michaïlof, son collègue à la Banque. "Elle s’est débrouillée pour ne pas passer sous les fourches caudines du Fonds monétaire international (FMI). Pour cela, elle a mis en place un programme d’économies plus ambitieux que celui du Fonds."

Les Etats créanciers du Club de Paris n’avaient guère envie de remettre sa dette à un Nigeria riche de son pétrole et réputé pour sa gabegie. Ils disaient à Ngozi : "Remboursez d’abord, et nous verrons ce que nous annulerons." L’argumentaire de la ministre était à l’opposé. Diplomate : "Nous avons réalisé toutes les réformes que vous demandiez." Moralisatrice : "Vous avez prêté à des gens corrompus et vous osez réclamer le paiement de cette dette à l’un des pays les plus pauvres du monde ?" Culpabilisatrice : "Vous n’allez tout de même pas laisser tomber le premier gouvernement "propre" du Nigeria ?" Impérieuse : "Annulez d’abord et nous rembourserons après."

Un des négociateurs n’en revient toujours pas : "J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi rude", soupire-t-il. Et elle gagne. Les pays créanciers inventent un programme spécial pour le Nigeria, dont la dette est effacée pour 18 milliards de dollars et qui remboursera 12 milliards après. Quand en 2006, Olusegun Obasanjo la mute aux affaires étrangères, Ngozi sent que le temps de la politique est venu avec les élections. Elle démissionne pour ne pas se compromettre, tire sa révérence sans bruit. Le bilan de l’équipe gouvernementale dont elle sort est flatteur : 1 milliard de dollars de remboursements est économisé chaque année ; le taux d’inflation annuel est tombé de 23 % à 11 % et le produit intérieur brut a été multiplié presque par 3. Ngozi met sur pied un institut de sondage d’opinion en association avec l’américain Gallup. Elle crée un fonds de 50 millions de dollars destiné à épauler les femmes africaines chefs d’entreprise. Elle fonde un centre de recherche sur les politiques de développement africaines. Elle est sur tous les fronts.

En 2007, retour à la Banque mondiale, son autre patrie, où le président Robert Zoellick l’appelle. Parce que, dit-il, elle "a combattu courageusement la corruption et n’oublie jamais les plus démunis qu’elle veut servir, non en les assistant, mais en les rendant autonomes". Elle y porte plus haut que jamais l’étendard de sa mère-patrie. "L’Afrique n’est plus un problème, dit-elle, mais un continent d’opportunités. Elle a connu un taux de croissance de 6 % pendant plusieurs années et se porte mieux. C’est vrai, la crise est là, celle des prix des produits alimentaires notamment, et moins de 5 % de nos terres sont irriguées, contre 40 % en Asie du Sud. Mais il faut cesser de considérer l’Afrique comme un malade."

Le président Obasanjo n’avait pas apprécié que l’on dise que Ngozi pourrait lui succéder. On ne répétera donc pas trop fort ce que sait parfaitement ce monde multilatéral, multiracial et multiculturel, où elle est comme poisson dans l’eau : si le président de la Banque mondiale cesse d’être, un jour, un homme, blanc et américain, Ngozi a ses chances.

Alain Faujas
Source: LE MONDE | 28.04.09

PARCOURS
1954
Naissance à Ogwashi-Uku (Etat du Delta, Nigeria).
1977
Diplômée de l’université Harvard (Massachusetts, Etats-Unis).
1982
Recrutée à la Banque mondiale.
2003
Nommée ministre des finances du Nigeria par le président Olusegun Obasanjo.
2006
La dette publique nigériane est annulée à son initiative ; elle quitte le gouvernement nigérian.
2007
Devient directrice générale (numéro 2) de la Banque mondiale, à la demande de son nouveau président Robert Zoellick.

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