RDC – Un parent se suicide alors que la rentrée scolaire est bloquée

RDC – Un parent se suicide alors que la rentrée scolaire est bloquée
IPS – [28/09/05]
Juakali Kambale

KINSHASA, 28 sep (IPS) – Le suicide d’un parent d’élève, lundi à Kinshasa, pour incapacité de faire scolariser son enfant, est un drame qui en rajoute à la tension sociale créée par la grève des enseignants du primaire et du secondaire des secteurs public et confessionnel en République démocratique du Congo (RDC).

La nouvelle du suicide a circulé à la vitesse d’un feu paille dans une capitale congolaise chauffée à blanc par le blocage que connaît la rentrée scolaire 2005-2006 depuis trois semaines. Tanda Ngele, un fonctionnaire de l’Etat, habitant la commune populeuse de Kimbanseke, à l’est de Kinshasa, a décidé de mettre fin à sa vie pour s’être retrouvé incapable de payer les frais de scolarité de son fils dans une école privée du quartier.

Acculé par sa femme qui ne s’expliquait pas comment son mari n’a plus d’argent au point de ne plus assurer la scolarité de son fils, Ngele a volontairement bu de l’acide pendant que son épouse dormait encore. La mort ne sera constatée que le lendemain matin.

Pareil drame reste inhabituel à Kinshasa où les cas de suicide sont assez rares. Les Kinois (habitants de Kinshasa) préfèrent prendre la vie du bon côté et vivre stoïquement leurs misères jusqu’à ce qu’une mort naturelle les emporte.

Cependant, l’environnement social du moment est caractérisé actuellement en RDC par une épreuve de force entre le gouvernement et les syndicats du secteur de l’enseignement au sujet des problèmes de conditions sociales des enseignants congolais. Cet environnement montre une approche particulièrement difficile des conditions sociales des agents de l’Etat, et spécialement celles des enseignants.

Jean-Marie Kimbuya, le secrétaire général du Syndicat des enseignants du Congo, a relevé cette situation au cours de l’assemblée générale des syndicats du secteur de l’enseignement, réunie, lundi à Kinshasa, pour discuter des dernières propositions salariales du gouvernement en faveur des enseignants.

”A l’heure où, dans les discours officiels, les décideurs se disent préoccupés par la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, notamment en matière d’éducation…des enfants congolais, il y a encore des parents qui sont si pauvres au point de se trouver incapables d’assurer la scolarisation de leurs propres enfants”, a notamment déclaré Kimbuya au cours de la rencontre des enseignants.

Le cas de Ngele a-t-il influencé les enseignants congolais dans leur décision de durcir la grève? Ils ont, en effet, décidé de poursuivre leur grève déclenchée depuis le jour de la rentrée scolaire, le 5 septembre, les propositions du gouvernement étant, à leurs yeux, loin de leurs attentes.

”Nous rejetons le barème intermédiaire et exigeons du gouvernement des réponses concrètes à nos revendications avant toute reprise du travail”, souligne, en substance, la déclaration finale de l’assemblée générale.

Le gouvernement avait, en effet, à l’issue de quinze jours de difficiles négociations, du 12 au 24 septembre, proposé une grille salariale qui était un peu meilleure que le salaire intermédiaire qui est actuellement décrié. Selon la déclaration syndicale, ”Les conditions économiques difficiles prévalant en RDC ne peuvent pas favoriser actuellement la prise en compte du contrat social de l’innovation appelé communément ‘Accord de Mbudi’.”

L’accord de Mbudi, signé le 12 février 2004 à Mbudi, une petite localité dans la banlieue ouest de Kinshasa, fixait à 208 dollars le salaire mensuel de l’agent le moins bien payé et à 2080 dollars, celui du plus gradé de l’administration publique.

Le samedi, 24 septembre 2005, le gouvernement a proposé, comme salaire intermédiaire à appliquer à partir du mois d’octobre, un plancher de 45,5 dollars et un plafond à 100 dollars — c’est-à-dire respectivement celui d’un huissier et celui d’un directeur des études.

Le tollé était alors général : ”Nous n’accepterons pas des cacahuètes au moment où les ministres et députés baignent dans une opulence éhontée et distribuent ostensiblement argent et autres biens pour s’attirer la sympathie des électeurs”, s’insurge à IPS, Alice Kavira, une enseignante de lycée, à Kinshasa.

Les élections générales sont prévues en RDC en juin 2006 et les autorités de la transition sont préoccupées actuellement par l’organisation de cette échéance.

La situation sociale se dégrade donc dangereusement, aussi bien dans la capitale que dans le reste du pays. Les enseignants campent sur leurs positions de 208 dollars par mois pour un huissier. Ceux qui habitent en provinces ont même une revendication supplémentaire du fait que la proposition gouvernementale est sélective, selon le coût de la vie et selon les provinces.

Ainsi, à diplôme égal, un enseignant, porteur d’un diplôme de licence, gagnerait 81 dollars à Kinshasa, 57 dollars à Lubumbashi, la seconde ville du pays après la capitale, dans le sud-est, et 38 dollars dans les autres provinces.

”Pourquoi cette disparité entre les salaires?”, se plaint Mulumba Luntu, enseignant et syndicaliste habitant la ville de Mbujimayi, dans la province du Kasai Oriental, contacté à Kinshasa par IPS. ”Notre lutte, en province, se situe également à ce niveau. Il n’y a aucune raison qui explique cette disparité de salaires entre les différentes villes et provinces de la RDC. Nous avons les mêmes diplômes, nous devons toucher le même salaire”.

Les autorités justifient cette disparité par la nécessité d’assurer les frais de déplacement des enseignants habitant les grandes villes comme Kinshasa et Lubumbashi.

Pendant ce temps, les élèves rongent leur frein à la maison, se demandant pourquoi les cours ne reprennent pas. A Kinshasa, les élèves du primaire et du secondaire ont organisé des marches de protestation, la semaine dernière, devant certains ministères pour revendiquer leur droit à aller à l’école.

Les parents qui, généralement, sont dégagés de leurs responsabilités envers les enfants durant l’année scolaire, se plaignent de ne plus pouvoir gérer les mauvaises humeurs des enfants restés à la maison.

Dans les villes comme Butembo ou Goma, dans la province du Nord-Kivu, dans l’est du pays, les parents d’élèves ont décidé de continuer le système de motivation des enseignants — paiement de frais spéciaux — en attendant que les autorités trouvent une solution à leur question salariale.

”Nous ne voulons pas tomber dans une situation où l’année scolaire serait déclarée blanche. Les enfants ne nous le pardonneraient pas”, déclare l’abbé Omer Kasyakulu, le recteur du collège Kambali de Butembo.

Les mêmes préoccupations sont partagées par l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO) qui ”craint de voir l’année scolaire déclarée année blanche”.

Amigo Ngonde, le président de l’ASADHO, une organisation non gouvernementale basée à Kinshasa, ”dénonce la légèreté et l’irresponsabilité avec lesquelles le gouvernement traite ce problème”. Elle ”demande au gouvernement de prendre sans délai toutes mesures nécessaires pour répondre aux préoccupations légitimes des syndicats des agents et fonctionnaires de l’Etat”.

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