Tanzanie – Le lucratif business des diplômes scolaires

Le lucratif business des diplômes scolaires

ARUSHA , 4 juil (IPS) Des cas de fraudeurs ayant acheté leur diplômes auprès de fonctionnaires du Conseil national des examens ne manquent pas ces derniers temps en Tanzanie, déclenchant la colère de la population et des étudiants en particulier dans ce pays d’Afrique de l’est.

Pas plus tard que cette semaine, dans l’édition de mercredi du quotidien national anglophone ‘The Citizen’, un lecteur se plaignait de cette affaire. D’autres quotidiens anglophones, le ‘Daily News’ et ‘This Day’, ont évoqué également, en mai et juin, des cas d’étudiants ayant acheté leurs diplômes.

Révélées par la presse depuis l’année dernière, ces histoires d’achat de diplômes ont même provoqué des manifestations d’étudiants devant le ministère de l’Education, à Dar-es-Salaam. «Nous aurons des responsables bidons à la tête de notre pays», clament encore des étudiants en colère jusqu’ici.

Samuel Zakara est l’un des rares Tanzaniens à avoir levé le voile sur le scandale des faux diplômes qui agite fortement le pays depuis plusieurs mois. Etudiant en licence d’histoire et géographie à l’Université d’Arusha, dans le nord de la Tanzanie, il souhaite devenir professeur à l’université.

Selon Zakara, le scandale des diplômes achetés «n’est absolument pas nouveau. Je connais de nombreuses personnes qui ont acheté de faux diplômes à Dar-es-Salaam au siège du Conseil national des examens (NECTA)», a-t-il déclaré à IPS. «Ils veulent un bon métier qui rapporte de l’argent. C’est pour cette raison qu’ils achètent des diplômes. Moi aussi, si j’avais assez d’argent, je ferais de même. Mais ce n’est pas le cas, donc je travaille dur».

C’est le journal ‘The Citizen’ qui avait révélé ce trafic en octobre 2008. Après deux mois d’investigation, un journaliste du quotidien s’est procuré, moyennant la somme de 300.000 shillings tanzaniens (225 dollars), un diplôme de l’enseignement secondaire auprès des fonctionnaires du NECTA. Depuis, les journaux suivent l’affaire de près, révélant de nouveaux cas. Mais on ne connaît toujours pas les noms de ceux qui ont vendu les diplômes ni s’il y a eu des sanctions administratives contre eux.

«Tout cela est l’illustration parfaite d’un système illégal et corrompu, et d’une mauvaise gouvernance, a expliqué Zakara. Les fonctionnaires sont mal payés, ils sont pauvres. Pour eux, c’est un moyen de gagner plus d’argent».

Les prix des diplômes diffèrent selon le grade. «Et ils vendent toutes sortes de diplômes. Pour devenir policier, banquier, docteur, avocat et même gardien», a affirmé Zakara. Le prix de départ est fixé à 50.000 shillings (environ 40 dollars) pour un diplôme de gardien. Si c’est en médecine ou en droit, le faux diplôme atteint un million de shillings (750 dollars). Et ce sont évidemment les étudiants les plus riches, aidés de leurs parents, qui achètent les diplômes, a-t-il ajouté.

Erasto Juma, étudiant en deuxième année à l’Université de Dodoma, la capitale tanzanienne, dans le centre du pays, ne cache pas sa frustration. «Les étudiants pauvres étudient durement, mais ne peuvent pas continuer leurs études car ils n’ont pas d’argent. Si les riches achètent et obtiennent leurs diplômes, on aura à la fin des professionnels bidons qui seront les leaders de cette nation».

«Les riches ne lisent pas et achètent les diplômes. Le plus grave aussi, ce sont les parents qui donnent l’argent aux enfants pour acheter les diplômes. C’est promouvoir le chaos et la paresse dans tout le pays. Et de nombreux incompétents ont accès à des postes importants», a commenté Juma. «Je me souviens, par exemple, avoir vu un docteur qui a failli dans le traitement des patients à l’hôpital. Il travaillait sous la direction d’infirmières car il n’avait aucune idée du traitement qu’il fallait donner aux patients», a-t-il rapporté à IPS.

Ce trafic illégal a rapporté des millions de shillings à leurs auteurs. Le gouvernement tanzanien se trouve fragilisé et perd en crédibilité, selon des analystes. Les responsables fuient, refusent de répondre aux questions des journalistes, et se rejettent la balle. Ainsi la directrice du NECTA, Dr Joyce Ndalichako, sévèrement mise en cause dans ces trafics, est discrète devant la presse, préférant appeler étudiants et parents à ne plus acheter de diplômes, tout en omettant de parler des fonctionnaires responsables du scandale.

Pour sa part, Valery Nicholus, une étudiante de troisième année à l’Université de Dar-es-Salaam, expose clairement les racines du problème. «Le mal vient du personnel du ministère de l’Education. Comment peut-on expliquer autrement que les diplômes vendus soient authentiques?», demande-t-elle.

Les étudiants, qui se procurent un diplôme du cours secondaire, accèdent à l’université, sans le minimum de connaissances requis. Existe-t-il des solutions contre ce trafic? Le ministre de l’Education, Jummane Maghembe, a proposé aux employeurs tanzaniens de fournir aux autorités les diplômes de leurs employés pour vérification. Par ailleurs, il a ajouté que le gouvernement était prêt à prendre des mesures drastiques pour empêcher certains d’accéder à l’université, ou à des postes dans les secteurs privé ou public avec de faux diplômes.

«C’est possible d’arrêter ce trafic, mais ce sera long et difficile», a déclaré Zakara à IPS, ajoutant : «Notre économie est pauvre et il faudra, avant tout, changer les mentalités des travailleurs, de ceux qui achètent ces diplômes. Je connais des personnes qui sont actuellement dans la police ou les banques avec de faux diplômes».

C’est en tout cas l’avenir des jeunes Tanzaniens qui est en jeu. Le directeur de l’Institut de finance et de management de Dar-es-Salaam, Jeremiah Nguma, a invité le gouvernement à agir. «Nos étudiants vont souffrir si des mesures ne sont pas prises rapidement. C’est un sujet très sérieux et il est urgent que le gouvernement agisse. Car c’est le futur de nos étudiants qui peut être détruit», a-t-il dit à IPS. «Ce scandale montre la faiblesse de notre système public d’éducation. Il faut punir très lourdement les coupables et envoyer un message fort à ceux qui voudraient continuer».

Arnaud Bébien
04/07/2009
Source: IPS – http://www.ipsinternational.org

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