Une bonne note pour les grandes écoles du continent

Les écoles privées africaines de management, d’ingénieurs ou de techniciens sont en plein essor et de plus en plus aptes à fournir une formation de qualité aux élites de demain.

L’enseignement supérieur africain serait-il enfin en mesure de former les cadres et techniciens que les économies d’Afrique francophone lui réclament de longue date ? Même s’il reste du chemin à parcourir, le secteur est en net progrès. « Ces dernières années, les universités d’État ont fait faillite, à cause des années blanches [grèves, reports d’examens, etc., NDLR], qui désorganisent les filières et découragent les bonnes volontés. Aujourd’hui, les États n’ont plus les moyens de vraiment améliorer cette offre éducative », constate Didier Acouetey, fin connaisseur de la situation des jeunes diplômés du supérieur et président d’AfricSearch, un cabinet de recrutement spécialiste du continent.

Les étudiants eux-mêmes, trop enclins à se tourner vers le droit et les sciences humaines, ont négligé les enseignements scientifiques et techniques, même courts, qui auraient davantage répondu aux besoins de l’économie tout en leur épargnant l’épreuve du chômage. « Pourtant, dans la dernière décennie, un secteur privé dynamique de l’enseignement supérieur s’est développé, poursuit Didier Acouetey. Quelques pôles d’excellence ont vu le jour, d’abord en Côte d’Ivoire puis dans d’autres États : Gabon, Mali, Niger, et même au Burkina. »

Selon un rapport de l’Unesco publié en 2008, la très forte augmentation depuis le début des années 2000 du nombre d’étudiants sur le continent – 10 millions en 2010, un chiffre qui pourrait doubler d’ici à 2015 ! – a favorisé l’éclosion d’un enseignement supérieur privé multiforme, qui accueille désormais environ 20 % de la population estudiantine.

Coopération avec les entreprises

Le boom du nombre d’étudiants n’explique pas à lui seul la multiplication des ouvertures d’écoles. Dans les services (banques, assurances, télécoms…) et dans certains secteurs industriels (agroalimentaire, minier et travaux publics), les entreprises sont aussi confrontées à un besoin croissant de jeunes cadres opérationnels.

Comme les grandes écoles occidentales, nées d’une coopération étroite entre les mondes académique et économique, les établissements d’enseignement privés africains qui se sont créés depuis le début des années 2000 sont souvent soutenus par les entreprises. Celles-ci financent des chaires et des équipements, tandis que les écoles y envoient leurs étudiants pour des stages pratiques ou leurs enseignants pour des séances de formation continue. Des échanges de bons procédés devenus aujourd’hui indispensables.

C’est la stratégie définie à l’École supérieure algérienne des affaires : dans cet établissement, créé en 2004 à Alger par la Chambre algérienne de commerce et d’industrie avec l’appui d’un consortium de grandes écoles françaises, un club d’entreprises (regroupant entre autres BNP Paribas, Deloitte, Cepro, KPMG et Danone) est constamment représenté. Sa mission : vérifier la pertinence de l’offre de formation au regard des attentes du monde du travail, faciliter l’insertion professionnelle des étudiants en proposant stages et cursus en alternance, conseiller l’école dans l’élaboration de ses programmes de formation continue.â

L’osmose constante avec le monde professionnel est peut-être encore plus cruciale dans la formation destinée au secteur industriel, notamment à cause du coût des équipements éducatifs. C’est une des caractéristiques fortes de l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement 2iE de Ouagadougou. La Sogea-Satom, du groupe Vinci, a ainsi participé à la création d’une licence professionnelle en maintenance, réparation et gestion d’un parc de matériel de travaux publics. Ce qui a permis la naissance de la toute première entreprise junior (fondée par les étudiants durant leur cursus) de l’Afrique subsaharienne ! D’autres multinationales, comme Areva, Delmas Export ou Bolloré, y financent des bourses d’étudiants et recrutent les jeunes fraîchement diplômés. Autre exemple de relations école-entreprises, l’École supérieure multinationale des télécommunications (ESMT) du Sénégal, qui prône des partenariats avec les équipementiers.

Accès aux diplômes européens

Autre méthode pour améliorer les formations et donner plus de relief aux diplômes : les accords et échanges avec des partenaires académiques d’autres continents disposant de labels prestigieux. De l’échange des enseignants ou des étudiants, des cursus élaborés et conduits en commun jusqu’aux doubles diplômes, ces alliances entre écoles se sont développées. Ainsi l’École nationale d’ingénieurs de Tunis propose-t-elle un double diplôme en association avec l’École des mines de Paris. Pour les écoles africaines, il s’agit de bénéficier de certains enseignements, de se doter aux yeux de la clientèle – étudiants comme entreprises – d’un label qui valorise les cours dispensés, et d’offrir aux étudiants l’accès éventuel à des diplômes européens. Au total, des opérations assez fructueuses pour être activement recherchées et développées.

L’École supérieure du commerce et des affaires (Esca) à Casablanca et son partenaire français Grenoble École Management envisagent d’ailleurs d’ouvrir dès la rentrée prochaine le Campus euro-africain de management (Ceam). Il aura pour vocation de drainer vers Casablanca « une population d’étudiants à fort potentiel mais qui n’ont pas les moyens de partir à l’étranger », selon Jean-François Fiorina, directeur de l’ESC Grenoble. Des partenariats entre les établissements de bon niveau d’Afrique subsaharienne et les grandes écoles internationales permettront d’attirer des étudiants aussi bien africains qu’européens ou asiatiques.

Le paysage de l’enseignement supérieur en Afrique a beaucoup changé et certains pays vivent une quasi-invasion d’écoles privées. Les grandes villes du Maroc semblent ainsi disposer d’une école de commerce à chaque coin de rue. Certaines institutions, tirant profit du discrédit qui frappe l’université, veulent attirer, parfois à grands frais, des entreprises et des étudiants alors qu’elles n’ont pas grand-chose à leur offrir. Aux premières, elles promettent une main-d’œuvre qualifiée et de qualité. Aux seconds, elles prétendent pouvoir éviter le chômage et peut-être même, par le jeu de la mobilité internationale, ouvrir les portes des grands groupes. « Il faudrait y voir plus clair dans cette offre éducative, voire faire un peu de ménage », concède Didier Acouetey.

C’est l’un des objectifs du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), qui a lancé une étude exhaustive de l’offre éducative dans les différents pays francophones. « Malgré quelques points forts, les systèmes éducatifs, publics ou privés, sont loin de proposer aux entreprises tous les mécaniciens, chefs de travaux, électriciens, ingénieurs qu’il leur faut. Or, les entreprises sont prêtes à s’impliquer davantage », assure Jean-Jacques Landrot, membre du comité directeur du Cian. D’ici quelques mois, l’enquête devrait permettre aux membres de l’organisation de mieux « cibler » les cursus qu’elles entendent soutenir, voire développer.

En tout état de cause, l’offre éducative privée s’est développée, et quelques pôles d’excellence se sont affirmés. En parallèle, certaines grandes entreprises se sont dotées de leurs propres établissements de formation initiale et continue. C’est le cas de la BGFI, qui « ne peut pas se permettre d’avoir un manque de compétences ou des salariés mal formés », insiste Hervé Ndoume Essingone, directeur général de l’école interne du groupe bancaire gabonais à Libreville. D’où la création d’une business school – maison qui accueille une quarantaine d’étudiants en licence professionnelle ou en master spécialisés dans les métiers de la banque, tout en assurant la formation continue des salariés du groupe.

Source: http://www.jeuneafrique.com
17 mai 2010

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