FRANCE – Discrimination à l’embauche : “des progrès encore très insuffisants”

Trouver un emploi : telle est la démarche qu’entreprend naturellement tout étudiant diplômé. Or c’est hélas devenu un lieu commun que de l’écrire : l’insertion professionnelle est aujourd’hui un vrai parcours du combattant. Le taux de chômage des jeunes de 15 à 25 ans est considérable : estimé à 25%, il tombe sous les 10% pour les bac+4, preuve que le diplôme conserve malgré tout une certaine efficacité. En revanche, le temps de prospection s’allonge : il faut aujourd’hui plus de temps qu’il y a dix ans pour trouver un emploi, et encore bien souvent ce n’est pas le job de ses rêves. Pour la majorité des diplômés, la période de latence est ainsi supérieure à un an. Selon l’AFIJ (2), seuls 40% des jeunes diplômés de 2008 ont trouvé un emploi à la fin de leurs études. Parmi eux, seul le tiers est en CDI tandis que les deux tiers restants ont dû se contenter soit d’un CDD soit d’un contrat d’intérim.

Entretien d'embauche : un sésame difficile à décrocher

Compétition entre diplômés, asymétrie, voire manque d’informations, ou encore frilosité des employeurs et forte préférence de ceux-ci pour des formes de recrutement précaires… Les difficultés qui émaillent l’accès à l’emploi sont multiples et le rendent très anxiogène. L’entretien d’embauche, dans ces conditions, est le sésame nécessaire à l’obtention d’un poste, et le décrocher, pour certains candidats, relève hélas de la gageure. Car une autre difficulté peut intervenir à ce moment du parcours, et même dès l’envoi de son CV : la discrimination. Jeunes comme vieux en sont victimes, diplômés ou non diplômés, hommes et femmes, Français comme étrangers.

De rares sanctions

Qu’est-ce que la discrimination ? La mécanique discriminatoire est fondée sur des préjugés et frappe ceux qui sont perçus, en raison de leur sexe, de leur origine ou encore de leur religion, comme différents et donc potentiellement menaçants. La discrimination, qui vient du mot latin "discriminatio" signifiant "séparer", consiste selon la Halde en "une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi."

Quels sont ces critères ? Ils sont nombreux. Le Code pénal les énumère : l’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La discrimination peut être directe si elle se fonde sur un ou plusieurs de ces critères, ou indirecte lorsqu’une règle, une pratique ou un critère apparemment neutre a un effet défavorable sur un groupe visé par un critère de discrimination. La discrimination peut aussi prendre la forme d’un harcèlement. Toujours selon le Code pénal, la discrimination à l’embauche est un délit puni par la loi, et sévèrement : trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Dans les faits, c’est rarement au pénal que les discriminateurs sont punis, mais plutôt au civil. Et si les sanctions financières prononcées sont très rares, elles n’en constituent pas moins pour les employeurs un vrai risque qu’ils doivent désormais prendre en compte.

Une lutte qui progresse, mais…

La lutte contre les discriminations a beaucoup progressé au cours des dix dernières années, notamment sous l’influence du droit communautaire. Un dispositif juridique antidiscriminatoire existe désormais depuis une dizaine d’années. La loi du 16 novembre 2001 en fixe le cadre général et la création de la Halde en 2004 est utilement venue compléter ce dispositif. Certes, ces progrès sont encore très insuffisants : chaque année le rapport annuel de la Halde rappelle l’ampleur de la discrimination, en particulier dans le secteur de l’emploi. Les personnes d’origine étrangère sont majoritairement ciblées, bien avant les handicapés, les seniors et les femmes.

Aujourd’hui, plus personne ne peut nier l’existence des discriminations et des efforts sont faits pour les amoindrir. Des initiatives publiques et privées en faveur de la "promotion de la diversité" fleurissent depuis la "Charte de la diversité" lancée en 2004. Tout ce qui peut concourir à accroître l’égalité des chances, à lutter contre les discriminations et à faire du principe d’égalité un principe de réalité et plus seulement un principe théorique va dans le bon sens. De même que tous les plans ou labels en faveur de la diversité, de la lutte contre les discriminations ou de l’égalité professionnelle qui sont des instruments utiles, mais hélas trop peu incitatifs et insuffisamment contraignants.

Un impératif pour la performance économique

Les employeurs sont quant à eux de plus en plus conscients de l’enjeu que représente la lutte contre les discriminations et ne peuvent plus se permettre de l’ignorer. Si la promotion de la diversité reste pour certaines entreprises un slogan de communication qui vise à se donner bonne conscience, pour d’autres, notamment pour celles qui se déploient à l’étranger, la diversité est un impératif, un instrument d’efficacité et de compétitivité ; bref, de performance économique. C’est ce qui les pousse à agir. Certaines entreprises, en particulier les plus grandes, développent des outils de recrutement équitables performants et déploient en interne des "politiques de la diversité" tout au long des carrières qui visent à percer les "plafonds de verre" qui entravent la promotion des personnes susceptibles d’être discriminées. Outre l’anonymisation des CV qui permet de faire accéder à l’entretien des candidats qui, sinon, risqueraient d’être écartés en raison des informations fournies sur le CV (patronyme, nationalité, lieu de résidence…), d’autres moyens sont expérimentés, telle la méthode de recrutement par simulation (MRS) qui consiste à objectiver davantage le processus d’embauche à travers des tests de simulation et d’aptitude.

La discrimination à l’embauche reste pour les jeunes, diplômés ou non, un obstacle important dans le long et compliqué parcours d’accès à l’emploi. Il faut en prendre conscience et s’informer. Il faut aussi connaître les moyens, notamment juridiques, qui existent lorsque l’on pense être victime de discrimination. Celle-ci n’est pas une fatalité.

(1) Karim Amellal, maître de conférences à Sciences Po, est l'auteur de cette tribune 
(2) Enquête d’avril 2009 de l’Association pour faciliter l’insertion des jeunes diplômés
 

Retrouvez l'ensemble des propositions de l'Institut Montaigne sur le thème de la diversité et de l'égalité des chances
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Par Institut Montaigne, mercredi 9 mars 2011

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