ALLEMAGE – “20 000 camerounais vivent en Allemagne”

Irene Bark. La directrice de l’Institut Goethe à Yaoundé dresse le bilan des 50 ans d’activités de cette institution au Cameroun et parle des projets d’avenir.

Cette année, l'Institut Goethe fête le cinquantenaire de sa présence au Cameroun. Quelles sont les principales articulations de cette célébration ?
Nous célébrons la 50ème année de notre présence au Cameroun. C'est l'occasion pour nous de faire le bilan de notre action et de regarder vers l'avenir. On va évaluer ce qu'on a déjà fait et définir  notre projet pour l'avenir.

Cette célébration est placée sous le signe d'une réflexion sur 50 ans de dialogue culturel symbolisés par un pont, notamment le pont sur la Sanaga à Edéa. Pourquoi?
Nous sommes en train de réaliser un projet d'installation d'art sur ce pont avec la Communauté urbaine d'Edéa, le centre d'art contemporain Doual'art et l'ambassade d'Allemagne, en collaboration avec le ministère de la Culture et le ministère des Travaux publics. Le pont en tant que tel, implique une valeur symbolique, c'est-à-dire le dialogue culturel et l'idée d'un transfert entre les lieux de rencontre, entre l'histoire et l'avenir. Le pont sur la Sanaga est un pont colonial qui a été construit par les Allemands. En ce sens, il symbolise l'histoire commune entre le Cameroun et l'Allemagne.

Le plasticien camerounais mondialement connu, Pascale Marthine Tayou, a accepté de travailler dans le cadre de ce projet pour réaliser une installation artistique sur le vieux pont d'Edéa. Ce projet est une opportunité pour réfléchir sur ces symboles de manière artistique. Car, l'œuvre d'art suscite des questions et ouvre la voie à beaucoup de réflexions : par exemple, quelle relation la population camerounaise entretient-elle avec son propre héritage culturel ? Quelle relation les Camerounais et les Allemands d'ici entretiennent avec ce pont en tant que héritage culturel ou symbole historique?… L'art est destiné à rendre visible, de manière critique, toute la complexité de ce symbole qui représente aussi un dialogue entre les nouvelles générations et l'histoire. En reconstruisant, d’une façon qui réconcilie et critique en même temps la mémoire et la perception de soi d’une société, l’art montre sa responsabilité et son rôle vital dans une société

Où en êtes-vous avec cette installation ?
Nous sommes en train de demander l'approbation du gouvernement. Nous planifions l'ouverture de ce pont culturel le 11 novembre 2011 à Edéa. Mais cette installation qui se réalise en collaboration avec le plasticien Emile Youmbi n'est pas la seule activité que nous allons organiser. Autour, nous voulons aussi organiser deux projets dénommés « Projets satellites ». Il y aura une mise en scène d'une pièce de théâtre dirigée par Martin Ambara, avec Em'Kal, André Takou Sa'a, Yves Eya'a et Eric Delphin Kwegoue. L'idée est de réaliser une activité inter disciplinaire en collaboration avec les populations d'Edéa et de Douala. Le but étant d'impliquer la population à la compréhension de ce projet pour soutenir le développement des infrastructures et de la culture dans la ville. Le deuxième projet est une sculpture avec l'alphabet bamoun. Elle sera réalisée par Salifou Lindou et Hako Hankson. Tout cela sous la direction artistique de Pascale Marthine Tayou.

Quelle est l'histoire de l'Institut Goethe au Cameroun ?
Elle a commencé en 1961 avec l'arrivée du Dr Felix Théodor Schnitzler qui, venant de Douala, a ouvert un Institut Goethe à Yaoundé. Au départ, le travail du Centre culturel allemand se limitait aux cours de langue. Dans les années 60, des programmes culturels ont été développés en collaboration avec des partenaires camerounais dans les domaines musique classique et traditionnelle au départ. Puis, dans les années 80, le Goethe a commencé à offrir des concerts de jazz européen et camerounais en collaboration avec des artistes locaux. Avec le temps, notre stratégie a évolué sur la coopération culturelle, l'échange professionnelle et le transfert d'informations. A l'époque, l’accent a été mis plus sur la promotion de la culture allemande. Avec la mondialisation, on est confronté au fait que les arts « voyagent ». Ils ne sont plus la « propriété » d’une culture nationale, bien que le souhait de leur reconnaissance en tant que tel demeure. L’artiste perçoit cette nouvelle dynamique de l’espace culturel qui n’est plus limité aux frontières nationales. Le dialogue entre « les cultures » différentes s’établit comme impulsion essentielle qui préserve « le soi » dans la rencontre avec « l’autre «  et l’inconnu. Il aide à préserver une « culture propre» et à accéder à la perception de « soi » dans le  sens que l’universel se trouve dans la diversité et dans l’individualité d’une culture particulière.  Je voudrais citer ici Pascale Marthine Tayou :« l’espace de rencontre entre ce que je suis et ce que l’autre est, c’est le carrefour de ce que je ne suis pas et que je veux comprendre,  ce sont des lieux où l’on apprend à mieux connaître l’inconnu et à mieux avancer sur le pont où se rencontrent pêle-mêle les étrangers d’ici et d’ailleurs. »

Depuis décembre 2010, vous menez un projet de création d'une plate-forme cinématographique pour la diffusion du cinéma africain. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Le concept c'est l'établissement d'un grand marché du film et la création d'une base de données commune. Il s'est développé en dialogue avec plusieurs plates-formes africaines et européennes. Nous voulons lancer la première mouture de ce site au cours du festival international du film de Durban, du 22 au 25 juillet prochains, avec les experts qui sont les plus actifs. Nous avons invité M. Waa Musi, le président de l'association Cameroon films industry, à réfléchir sur le statut légal de ce projet qui a besoin que les auteurs et les structures s'engagent. Car, ce réseau de distribution en ligne dépendra de tous les acteurs. Notre mission dans ce projet est de renforcer les infrastructures et les acteurs dans le cinéma africain, en tant que médiateur.

L'Institut Goethe soutient beaucoup de projets culturels au Cameroun. Quel regard portez-vous sur la scène culturelle ici ?
Elle est énormément riche, mais il n’y a pas encore une propre industrie créative camerounaise indépendante, par exemple, dans des domaines film, du théâtre, de la danse et des arts plastiques. C'est dire que très peu d'artistes camerounais peuvent vivre de leurs créations. Les gens n'ont pas l'habitude de « payer » pour un spectacle, le travail culturel n'est pas assez valorisé pour qu'un artiste puisse vivre de son art. Nous – le Goethe-Institut – sommes dans un dilemme. Notre objectif est, entres autres, de contribuer, en collaboration avec nos partenaires camerounais, à la valorisation les artistes camerounais dans leurs propres structures en renforçant les infrastructures locales. Mais nous sommes amenés à les accueillir ici. Il existe un malentendu. Beaucoup pensent que nous sommes un sponsor. Or, nous ne subventionnons pas. Nous développons avec nos partenaires des concepts communs d'échanges dans le sens d’un dialogue entre des indépendants. Dans ce sens, nous travaillons par exemple avec les festivals locaux ou les centres culturels comme le Centre culturel Francis Bebey et l'espace Othni.

Vous dites que les gens rechignent à « payer » pour les spectacles. Or, l'Institut Goethe est le seul centre culturel où tous les spectacles sont gratuits…
Oui, parce que nous sommes une organisation non commerciale. Nous offrons une plateforme d’échange avec des rencontres, des ateliers, des présentations. Notre but n’est pas commercial. Mais nous voulons soutenir l'établissement des infrastructures indépendantes, rentables. Par conséquent, nous ne gagnons pas d'argent sur les prestations artistiques. Mais les artistes qui viennent chez nous dans le cadre du Goethe café reçoivent des honoraires, même si ce n'est pas beaucoup. Cependant, nous sommes en train de voir ce qu'on peut faire pour rendre l'art « payant », indépendant et rentable.

Après 50 ans, quel est le bilan de l'Institut Goethe au Cameroun ?
Beaucoup de sujets, beaucoup de défis et une richesse énorme dans la collaboration. Cela ouvre des perspectives très intéressantes. Nous aurions voulu agir dans plusieurs secteurs, mais nous ne pouvons pas. Le nombre de personnes qui apprennent l'allemand est impressionnant. Le Goethe ici est l'un des centres qui ouvrent le plus grand nombre de cours de langue. Mais cela s'explique. Il y a 6000 étudiants camerounais en Allemagne ; la diaspora camerounaise en Allemagne est la diaspora africaine la plus grande avec 20 000 personnes. L'intérêt des Camerounais à apprendre la langue allemande s'explique aussi par l'histoire commune. Il est enfin pragmatique, car l'Allemagne est très appréciée par les étudiants avec des métiers comme la technologie, les nouvelles énergies. Chaque année, il y a environ 2000 élèves qui passent des examens ici au Goethe. Au total, il y a 200 000 apprenants de la langue et 1500 enseignants d'allemand au Cameroun, dans le public et le privé. Les anciens étudiants camerounais en Allemagne sont nos partenaires, c'est un groupe important pour la collaboration entre les structures camerounaises et allemandes. Nous entretenons aussi une bonne collaboration avec les ministères en charge de l'éducation.

Quelles sont les missions du Goethe Institut au Cameroun?
Nos missions sont axées sur trois points : la promotion de la langue allemande, le transfert d'information et bibliothèque et la coopération culturelle et la promotion et les échanges entre les cultures et les acteurs. Nous travaillons sur la base du traité culturel germano-camerounais qui a été signé en 1988, et dans le cadre d’une stratégie régionale qui est basée sur une convention des objectifs  entre le Goethe-Institut et le ministère des Affaires étrangères en Allemagne.

Quels sont ces objectifs?
L'action des Instituts Goethe est coordonnée dans le sens de trouver l'universel dans la diversité. Notre travail est basé sur  notre mission commune, mais chaque pays peut mettre l'accent sur des thèmes particuliers. Toutefois, envisagent les développements actuelles globales il y a des sujets clés nouveaux, définis dans notre stratégie : migrations, climat et culture, crises et conflits, culture dans l'espace public.

Quel est l'état de la coopération culturelle entre le Cameroun et l'Allemagne ?
On parle de la culture comme un pilier de la politique étrangère. Le Goethe est le représentant officiel de la culture allemande au Cameroun. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'ambassade d'Allemagne au Cameroun. Le Goethe est une association indépendante, même si plus de 80% de notre financement vient du ministère allemand des Affaires étrangères. Ici au Cameroun, les cours de langue couvrent une partie de notre budget. Mais, il est difficile de séparer la culture de la politique. Culture et politique sont liées.

Quels sont les rapports du Goethe Institut avec le gouvernement camerounais ?
Très positifs. On travaille avec des instituts privés et publics. Le fait que le ministre de la Culture nous a rendu visite le 7 juillet, à l'occasion de notre journée portes ouvertes, montre la sympathie du gouvernement pour nous.

Quelles sont les perspectives de l'Institut Goethe au Cameroun ?
Actuellement, nous travaillons dans des secteurs sélectionnés : le film, le journalisme culturel, la danse, les arts plastiques, la culture dans l'espace public. Nous allons réfléchir avec nos partenaires pour voir comment nous développer. Mais en gardant une position, dans le sens de ce que la culture allemande pourrait apporter dans ce dialogue.

Propos recueillis par
Stéphanie Dongmo

http://www.quotidienlejour.com
18/07/2011

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