EMPLOI – Education A Ouaga, les clés du changement

Lundi 13 février, ils sont venus, ils sont tous là, issus des quatre coins du continent et d’ailleurs, participer à la triennale 2012 de l’Association pour le développement et l’éducation en Afrique (ADEA) organisée dans la capitale burkinabè, Ouagadougou. Les présidents du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, du Mali et du Niger, Blaise Compaoré, Alassane Outtara, Amadou Toumani Touré (ATT) et Issoufou Mahamadou, ainsi que les représentants des présidents béninois et rwandais, ouvrent officiellement ce grand rendez-vous mondial qui réunit pas moins de 800 personnes, ministres, chercheurs, universitaires, ONG, représentants du secteur privé… Au terme de ces cinq jours de discussions, consacrés à des thèmes prioritaires pour les populations, le secrétaire exécutif de l'ADEA, Ahlin Byll-Catatria, nous a également expliqué l’importance de « Comprendre le lien étroit entre éducation et développement durable ».

Dans un contexte de crises, économique, sociale, écologique, le développement durable n’est plus seulement un concept lié à la sauvegarde de l’environnement, il s’érige en modèle de croissance à part entière, basé sur une exploitation raisonnée des ressources naturelles, humaines et économiques. L’enjeu : la mise en oeuvre de moyens de production rationnels afin de satisfaire les besoins fondamentaux des quelque 7 milliards d’êtres humains. En ce sens, l’Afrique est au coeur de cette préoccupation. Et la triennale 2012 de l’ADEA se trouve au centre de cette réflexion : quels programmes de formation, comment les enseigner, quels objectifs viser ?

« Eduquer ou périr » lance ATT à la tribune. Sam Ongeri, ministre kenyan de l’Éducation nationale, poursuit sur un ton solennel avec les célèbres mots de Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde ». Blaise Compaoré ensuite, hôte de l’événement : « Il n’est point besoin d’aller chercher loin pour comprendre que la clé du changement et le moteur des grandes transformations sociales résident dans l’éducation et la formation ». Il conclut avec l’adage bien connu : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez donc l’ignorance ».

Le festival de petites phrases et d’anecdotes bien senties fait mouche, l’assistance est conquise.  La sous-directrice générale de l'Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), chargée du département Afrique, Madame Lala Ben Barka, replace le débat dans la réalité avec forces statistiques : 43% des enfants non scolarisés dans le monde sont issus d’Afrique subsaharienne, dont 54% sont des filles. « Cela signifie des millions d’esprits créatifs, des millions d’idées. Nous devons donner la possibilité à ces jeunes d’explorer, innover, créer, et contribuer au développement » dit-elle. Selon elle, les pays d’Afrique subsaharienne ont augmenté leurs dépenses réelles de 6% par an au cours de ces 10 dernières années. Elle n’oublie pas de souligner que le printemps arabe doit beaucoup à la jeunesse éduquée de ces pays.

Qu’en pense le jeune burkinabé, Yhasid Traoré, âgé de 26 ans, que nous croisons dans les couloirs du centre de conférence, bénévole sur cet événement ? « Moi, j’ai eu mon bac à 17 ans, j’ai suivi pendant 18 mois, des cours de marketing dans une école privée, puis je suis allé à l’université poursuivre un cursus en informatique. Depuis, j’ai frappé à toutes les portes, sans exception. Je ne compte plus le nombre de candidatures que j’ai proposées. Rien. Je n’ai jamais rien décroché de concret. Pourtant, depuis plusieurs années, je travaille. J’ai été exploité par les entreprises, j’ai beaucoup travaillé pour trois fois rien, dans les secteurs de la banque, téléphonie, etc. Alors pour l’instant, je fais du bénévolat, en espérant avoir le bon contact qui m’aidera à décrocher un vrai poste. » Il nous confie aussi ne pas ressentir de colère, contrairement à d’autres de ses amis : « Mes copains sont bien plus révoltés que moi. Nous avons entendus parler de la révolution tunisienne dans chaque village du Burkina ». 

Certes, dans certaines de ces situations, l’éducation ne crée pas l’emploi. Reste le constat selon lequel le secteur informel reste florissant et peut absorber de l’énergie vitale, capter la force de travail de cette jeunesse africaine. Par leur présence à l’événement, les représentants du secteur privé ont enfin rappelé que l’entreprise doit se retrouver au cœur du système éducatif, qu’elle doit être considérée comme un partenaire majeur, sérieusement, durablement.

Par Fériel Belcadhi

 

Entretien avec le secrétaire exécutif de l'ADEA, Ahlin Byll-Catatria : « Comprendre le lien étroit entre éducation et développement durable »

A.M : Quels étaient les enjeux de cette triennale 2012 ?

Ahlin Byll-Catatria : Ils étaient multiples puisque cet événement touche tous les secteurs de développement et concerne tous les acteurs de développement. Il faudrait éviter de s’enfermer dans des débats limités à des spécialistes de l’éducation et de la formation, et nous assurer que les dimensions relatives à des problématiques telles que l’agriculture, l’élevage, la santé, etc… ne soient pas laissées de côté, et faire en sorte que les acteurs de tous les secteurs de développement prennent part aux débats et apportent aussi leurs contributions. 

L’autre enjeu, c’est d’éviter que les discussions tournent autour des problèmes auxquelles sont confrontées l’éducation et la formation en Afrique, pour se projeter dans l’avenir, sur la base des leçons apprises, des études de cas et des expériences capitalisées, en privilégiant les échanges d’expertises et d’expériences.

Enfin, nous devons sortir de la Triennale avec des propositions concrètes sur les politiques et les stratégies à privilégier, les partenariats à établir, les pistes de collaboration entre les parties prenantes du développement durable, le tout avec des indications claires sur le suivi de la mise en œuvre des recommandations de la Triennale.

Peut-on sauver les systèmes d’éducation africains existants ou faut-il privilégier une reconstruction complète ?

Un proverbe africain dit que « C’est sur l’ancien qu’on construit le nouveau ». Par conséquent, nous ne pouvons pas faire tabula rasa des systèmes d’éducation africains. Il faudrait avoir le courage de procéder à des réformes de fond, en remettant en question tout ce qui est source d’incohérence et de manque de pertinence, d’inefficacité. Une reconstruction devrait être le résultat d’un dialogue entre les différentes parties prenantes sur l’état actuel de l’éducation, ses faiblesses, mais aussi ses réussites et les innovations porteuses, de même que sur les facteurs qui influent sur la qualité de l’éducation en Afrique.

En quoi éducation et développement durable sont-ils liés ?

Le concept de développement durable touche quatre dimensions complémentaires : la protection et la sauvegarde de l’environnement, ainsi que la lutte contre le changement climatique, la promotion d’un modèle de croissance économique durable basée sur une exploitation rationnelle et la préservation des ressources naturelles, la construction de sociétés inclusives fondées sur une lutte efficace contre la pauvreté et toutes les sources de discrimination et de marginalisation, et enfin le renforcement de la connaissance mutuelle et de l’intercompréhension culturelle et spirituelle entre les différents groupes, sociétés et peuples dans le sens de la solidarité humaine et de la paix.

Si nous sommes d’accord que le développement durable doit prendre en considérations ces quatre dimensions, il n’y a donc aucun doute que éducation/formation et développement durable sont étroitement liés.

Comment évoquer ce concept alors que l’école a déjà du mal à répondre aux besoins les plus basiques ?

Si nous comprenons le lien étroit entre éducation et développement durable, la question ne se pose même plus. Au contraire, je dirais que si l’école arrivait à établir ce lien et à favoriser l’acquisition par les élèves de connaissances et compétences utiles pour le développement durable de l’Afrique, les parents, les élèves et les communautés s’engageraient encore plus en faveur de l’école, parce qu’ils comprendraient son utilité et son apport au développement.

Les états sont-ils réellement conscients des enjeux ? Ont-ils la capacité de mobiliser les fonds et les ressources humaines ?

On ne peut pas généraliser. Certains pays, comme Maurice, sont très conscients des enjeux et se donnent les moyens. La mobilisation devrait déjà commencer par une meilleure utilisation des moyens et des ressources humaines existantes.

Quels sont les points principaux d’une politique réaliste en terme de développement durable ?

A titre d’exemple, je citerais toutes les initiatives qui ont été menées dans le domaine de l’éducation environnementale, celles relatives à l’éducation pour la paix, l’éducation en matière de nutrition et santé, les programmes de conservation et de gestion des ressources naturelles, etc.

Quelles sont les réformes réalistes à mettre en place pour que l’éducation inclue le développement durable dans ses missions ?

Ce sont avant tout celles qui consistent à considérer que l’éducation et la formation sont le socle sur lequel repose le développement de manière générale, durable en particulier, à avoir une bonne compréhension de ses quatre dimensions, à déduire les implications en termes de connaissances, compétences et qualifications à développer, et enfin à concevoir de manière participative des systèmes éducatifs et de formation et à promouvoir des pratiques pédagogiques appropriées.

Propos recueillis par Zyad Limam – http://www.adeanet.org 

http://www.afriquemagazine.com
24/02/2012

 

 

 

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