Quand l’emploi va, tout va. C’est du moins l’idée que s’en font des milliers de jeunes Sénégalais, diplômés ou non, qui sont à la recherche de leur premier travail. Ils sont en moyenne 290 000 nouveaux demandeurs qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Un nombre auquel il faut ajouter un important stock de Sénégalais en mal d’activités génératrices de revenus. Partagés entre grands- places, thé, damiers, lutte, foot…, ils accusent les différents régimes qui se succèdent à la tête du pays d’être à l’origine de leurs difficultés. En embuscade comme sous l’ère Diouf, Wade, ils brandissent leurs cartes électorales et menacent de sanctionner tout régime et tout candidat à l’élection présidentielle qui ne met pas la satisfaction de leur demande d’emploi au cœur de ses préoccupations.
Créer 500 000 emplois en 7 ans ou en 5 ans, selon que la durée du mandat présidentiel sera réduite ou maintenue, telle est l’ambition du tombeur de l’ancien président Me Wade, le 25mars 2012. Une promesse du chef de l’Etat Macky Sall qui supplante celle que son prédécesseur avait faite en 2000 aux foules ivres de promesses de changement. Partout où il passait pour battre campagne, Me Wade demandait à ceux qui n’avaient pas de travail de lever la main. Il leur promettait ainsi monts et merveilles. Mais c’est lui-même qui dira plus tard, surprenant tous ses compatriotes, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Comme pour justifier le fait de n’avoir pas répondu aux attentes des milliers de jeunes n’en pouvant plus de supporter de vivre sans activités génératrices de revenus. Des jeunes installés souvent dans l’oisiveté (grands places, thé, foot, lutte, etc.), et n’ayant que leurs cartes d’électeur pour essuyer leurs larmes de désespoir.
Des armes fatales qu’ils utiliseront contre lui le 25mars 2012, tout en avertissant son tombeur à la tête de l’Etat que la paix, la stabilité sociale et l’émergence du pays, passent nécessairement par la création d’emplois pour absorber 290 000 à plus de 300 000 nouveaux demandeurs qui arrivent annuellement sur le marché de l’emploi. Ceci, en plus de l’important stock de chômeurs issus des nombreuses entreprises fermées en cascade, dont certains n’ont ni l’avantage du diplôme ni celui de la formation professionnelle.
Trouver une solution à leur insertion constitue le seul moyen pour le président Macky Sall de se doter de la clé pour un second mandat à la tête de l’Etat. C’est ainsi seulement qu’il pourra, et de la plus belle manière, rassurer les Sénégalais d’avoir réellement amorcé une rupture d’avec la ou les gestions précédentes qui ont toujours eu du mal à trouver des opportunités d’emploi aux contingents de jeunes , diplômés ou non. La nouvelle alternance politique en a eu certainement la preuve suite à sa récente offre de recrutement de 5000 agents dans la Fonction publique. Une offre qui a fait courir près de 10 000 demandeurs, sans compter les 90 000 autres postulants dont le ministre Habib Sy avait trouvé les dossiers sur sa table, avant le lancement de cette opération. Les grands problèmes de l’emploi au Sénégal sont souvent liés au manque d’innovation dans la recherche de solution à cette question cruciale du chômage.
Selon certaines statistiques officielles plus de 60% des jeunes en âge de travailler (15-35ans), sont confrontés à des difficultés d’insertion. Et souvent les autorités se dépensent peu ou très mal, pour trouver des solutions durables au fléau.
Et sans politique d’anticipation ni initiatives nouvelles, il n’est pas étonnant qu’elles se trouvent confrontées à des difficultés comme l’absorption des 1815 sortants de la Fastef de cette année. C’est tout le contraire d’un pays comme la France, qui a toujours servi de référence au Sénégal, où la priorité de tout nouveau régime est d’étudier les voies et moyens idoines pour le règlement de la question de l’emploi (semaines de 35heures ou les contrats de stage des jeunes) ; et la prise en charge des questions sociales.
Au Sénégal, les gouvernements successifs des régimes de Diouf et de Wade ont naïvement, toujours pensé pouvoir régler le problème à travers des recrutements annuels dans la Fonction publique sénégalaise. Or, en dépit des milliers de postes que peuvent créer l’Etat sur la base surtout des postes libérés pour cause de décès et de départs à la retraite, il est évident que l’emploi salarié, que l’on peut considérer parfois comme une simple subvention, n’est plus la voie royale pour l’absorption des milliers de jeunes en âge de travailler, comme du temps de l’Etat providence.
Au contraire, aujourd’hui la création de l’emploi dépend nécessairement de la mise en valeur des potentialités hydro agricoles dont le pays regorge. Il s’agit notamment de mettre en valeur la terre, l’eau et l’énergie solaire, en créant de petites et moyennes entreprises agricoles ( dans la vallée du Fleuve Sénégal, en Casamance, dans les Niayes et dans le bassin arachidier) ; ainsi que celles portant sur la transformation des produits issus de la pêche, de l’élevage, de l’artisanat souvent prisés par les partenaires commerciaux européens, asiatiques et nord américains.
Il s’agit surtout d’éviter l’expérience malheureuse de la mandature de M Wade sous laquelle, il n’aura été créé en 12 ans que 100 000 emplois, soit l’équivalent du tiers des 300 000 nouveaux demandeurs, diplômés ou pas, par an. Et tout cela, en dépit de la mise en place du Fonds National pour l’emploi des jeunes (FNPJ), l’Agence nationale pour l’Emploi des jeunes (ANEJ) et l’Office nationale pour l’emploi des jeunes dans la banlieue (OJEBAN). Des initiatives qui, dit-on, n’auront fait que pomper les deniers publics et enrichir leurs gestionnaires dont certains cherchent aujourd’hui, honteusement, à passer entre les mailles des enquêteurs de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) grâce à la course à une allégeance au parti au pouvoir de Macky Sall.
Les mauvais souvenirs laissés par ces dites Agences et leurs gestionnaires qui n’ont donné naissance à aucune petite ou moyenne entreprise (PME, PMI) visible et rentable, suscitent parfois des sentiments de révolte chez beaucoup de contribuables dont les enfants continuent depuis quelques décennies à compter les poteaux. D’aucuns ont le sentiment qu’à travers de telles initiatives, on avait juste voulu récompenser une jeunesse militante prompte à investir les circuits de l’immigration clandestine, par terre, air, mer ; plutôt que de travailler à sortir le pays du marasme économique et social. La preuve, il est rare, voire impossible, de rencontrer un seul projet financé par ces Agences naguère lancées à grande pompe mais qui n’ont pu survivre à leur bailleur de président.
L’innovation, la règle d’or
L’une des principale causes, semble-t-il, en plus d’avoir voulu récompenser ces jeunes souvent sans expérience et sans ambition réelle, l’ancien régime n’avait pris aucune disposition conservatoire (étude de faisabilité, moralité et expérience des porteurs de projets ou encore le rapport entre la nature du projet et les réalités de leurs lieux d’implantation). Toutes choses que l’appartenance au parti au pouvoir du promoteur ou ses liens d’amitié et/ou de parenté supposés avec les décideurs permettaient de passer outre. D’où, le peu d’impact sur l’emploi de ces nombreux projets créés par les Agences du défunt régime libéral. Une situation aggravée par le faible niveau de qualification de leurs promoteurs ainsi d’ailleurs que les autres demandeurs potentiels d’emplois, dont la plupart sont issus des filières d’enseignement général, donc ne bénéficiant d’aucune qualification professionnelle.
A en croire l’Agence nationale des statistiques, 57% des demandeurs d’emplois au Sénégal, n’ont aucune qualification professionnelle. Une situation liée à la nature de notre système éducatif qui semble avoir toujours privilégié les besoins en main d’œuvre bureaucratique.
Une étude réalisée par la Banque mondiale sur la question de l’emploi, renseigne que les travailleurs qualifiés ne représentent au Sénégal que 5% de la force totale de travail. C’est dire que parmi la population active qui fait 5,3 à 6 millions d’habitants sur 13 millions d’âmes, seuls 265 000 sont des travailleurs qualifiés. Dans le secteur moderne à Dakar, plus de 60% des travailleurs n’ont pas reçu de formation. Ainsi, selon la Banque mondiale, le manque de qualification de la main d’œuvre qui interpelle le système de formation professionnelle, constitue à bien des égards le principal frein à l’émergence des secteurs gros pourvoyeurs d’emplois : industrie, technologie et autres.
C’est dire que l’Enseignement technique et la Formation professionnelle est un sous secteur dont la valorisation pourrait à coup sûr doter le pays de travailleurs qualifiés, comme l’a toujours soutenu M Sanoussi Diakhaté, le directeur de l’Office national de la formation professionnelle. Ce dernier a toujours souligné que contrairement à certaines affirmations, c’est l’emploi qui génère la croissance. `Il renseigne toutefois que ceux que l’on considère comme des travailleurs au Sénégal sont à 85% dans l’auto emploi contre 15% qui occupent des emplois salariés.
C’est en fait tout le contraire d’un pays comme la France où l’auto emploi ne représente que 9% de la population active. Au Sénégal, constate toujours M Sanoussi pour le déplorer, ceux que l’on retrouve dans l’auto emploi vivent une situation précaire. La raison fondamentale c’est qu’en fait l’auto emploi au Sénégal n’a pas de valeur et ne génère pas d’autres emplois à cause surtout du manque de qualification. Dès lors il pense que ce qu’il y a lieu de résoudre relève de la problématique de la qualité de l’emploi et non la quantité, pour promouvoir l’auto entreprenariat et stimuler la croissance.
Le syndrome de la Tunisie
S’il est bien vrai que l’éducation et la formation constituent les porte-clés pour l’emploi, il demeure toutefois évident, que leurs revers peuvent avoir des conséquences fâcheuses pour le régime de Macky Sall. En effet, en plus de l’important stock de chômeurs que compte le pays, le nouveau pouvoir, s’il n’y prend garde, risque d’être surpris par l’accroissement exponentiel du nombre de demandeurs d’emploi d’ici 2017, à savoir l’échéance de son quinquennat. S’il doit prolonger celui-ci jusqu’à en 2019 (terme du septennat sur lequel il a été élu), comme certains de ses partisans l’incitent à le faire, le nombre sera encore beaucoup plus important à l’échéance. Et contrairement à la plupart des jeunes diplômés d’aujourd’hui en chômage, grand nombre de ceux de 2017 ou de 2019 sortiront avec des métiers, donc prêts à l’emploi du fait de la présence massive d’étudiants dans les filières professionnelles, particulièrement dans le privé.
En d’autres termes, les autorités n’auront aucune excuse face à leur demande d’insertion. Même s’ils doivent cette formation à la volonté du pouvoir en place qui a fait inscrire tous les bacheliers non orientés dans le privé. En 2011-2012, ils étaient près de 10 000 à bénéficier de cette faveur. Le même nombre de nouveaux bacheliers voire plus, bénéficiera des mêmes faveurs en 2013-2014. D’ici à 2017-2019, ils seront en moyenne une centaine de mille jeunes diplômés, le plus souvent dans les filières des métiers émergents, à exiger leur insertion.
C’est dire l’importance du défi qui se profile à l’horizon de cette nouvelle année et auquel il faut apporter des réponses urgentes et incontournables afin d’anticiper les surprises liées à la demande massive d’emplois pour éviter au Sénégal de l’ère Macky Sall d’être confronté au syndrome de la Tunisie sous le défunt régime de Ben Ali.
Source: http://www.sudonline.sn
Janvier 2014