SÉNÉGAL: Le défi quotidien des étudiants handicapés
DAKAR, 19 décembre 2007 (IRIN) – Sur le campus de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, la capitale du Sénégal, il n’est pas rare de voir des étudiants handicapés se traîner pour gravir les marches des escaliers en béton ou patauger dans les eaux sales des toilettes pour aller se laver.
A quelques exceptions près – la bibliothèque principale et un nouvel amphithéâtre – les bâtiments de ce campus tentaculaire ont été conçus sans tenir compte des personnes à mobilité réduite.
« Les utilisateurs de fauteuils roulants ou de voiturettes sont obligés de ramper pour accéder à certains bâtiments », a indiqué l’association des étudiants handicapés dans une récente lettre adressée aux autorités. L’association a établi un cahier de doléances avec des solutions qu’ils ont présenté aux autorités de l’université au début de l’année scolaire.
Serigne Diop, un agent de l’administration, n’arrive pas à effacer de sa mémoire une image insoutenable. « J’ai vu une étudiante traînant un handicap lourd monter avec grand-peine un escalier en serpentin ; elle n’avait que ses deux béquilles et ne voulait pas ramper pour ne pas salir ses habits. Ses camarades la dépassaient sans gêne, sans se soucier d’elle ».
Etant donné les difficultés qu’ils ont à se déplacer, les étudiants handicapés arrivent souvent en retard aux cours. C’est le cas de ceux qui logent sur le campus. Quant à ceux qui habitent hors du campus, ils rencontrent d’énormes difficultés de transport, car les véhicules de transport public ne sont pas adaptés pour les utilisateurs de voiturettes, a précisé l’association des étudiants handicapés.
Des étudiants contraints d’abandonner leurs études
Dans leur chambre, qui leur sert également de siège de l’association, les étudiants handicapés évoquent le mauvais souvenir de deux de leurs camarades, nouvelles bachelières, qui ont dû arrêter leurs études faute de logement au campus.
Elles ne sont pas les premières et ne seront sans doute pas les dernières, se sont désolés les étudiants handicapés.
« Ces filles, qui venaient d’avoir le bac étaient malheureusement obligées de faire une croix sur leurs ambitions pour l’université et de retourner en province auprès de leurs familles parce qu’elles n’arrivaient pas à trouver un logement au campus universitaire », a regretté Fulbert Manga, secrétaire général de l’association.
Quant aux étudiants handicapés qui poursuivent leurs études à l’université, les défis sont les mêmes : difficulté d’hébergement, inaccessibilité des bâtiments, inadaptation des transports en commun, faiblesse de la bourse d’études et obstacle à un emploi décent.
Alors que la protection des droits des personnes handicapées est inscrite dans la Constitution du Sénégal et que le pays a ratifié la récente convention internationale sur les personnes vivant avec un handicap, la réalité quotidienne est toute autre, ont déploré les étudiants. Pour les étudiants handicapés, se rendre à l’université implique un effort qui va bien au-delà leur capacité à suivre des études.
Des quotas non respectés
Au mois de novembre, l’association des étudiants handicapés a organisé une manifestation pour revendiquer de meilleurs logements. Pour les quelque 250 étudiants handicapés recensés, il devrait y avoir au moins 162 lits, conformément au quota défini par l’administration du campus, mais il n’y en a que 107, a expliqué Insa Sané, étudiant en 4ème année de sociologie.
Selon Makhtar Ndoye, le directeur des cités universitaires, étant donné le grave problème d’hébergement sur le campus, l’administration du Centre des œuvres universitaires a même dû se battre pour sauvegarder les 107 lits réservés aux étudiants handicapés. Pour les quelque 55 000 étudiants inscrits en 2007, il n’y a que 5 136 lits disponibles à la cité universitaire.
L’accès aux salles de bains est également un problème constant pour les étudiants handicapés.
« Dans aucun pavillon de garçons on ne trouve de chaise anglaise, et c’est parfois le cas chez les filles », a constaté Yague Touré, étudiant en deuxième année de physique chimie.
« On ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur les conditions inhumaines dans les sanitaires ». Dans les toilettes, des flaques d’eau recouvrent le sol car les robinets sont défectueux. « Ceux d’entre nous qui utilisent les fauteuils roulants pataugent dans les eaux sales pour aller se laver ».
M. Ndoye a promis d’installer des chaises anglaises dans les toilettes et de réparer les robinets défectueux.
Un problème régional
Selon Djibril Sow, directeur du bureau régional de l’Institut africain de réadaptation, les personnes handicapées sont confrontées à de nombreuses barrières architecturales dans la sous-région. Pour lui, le nombre d’étudiants handicapés serait certainement plus important si les conditions étaient meilleures.
« Si les conditions avaient été améliorées, certainement le nombre de 300 étudiants à Dakar serait multiplié par 10 ou 20. C’est général, de Dakar à Ouagadougou et ce sont également les mêmes problèmes constatés chez les autres personnes handicapées dans la société ».
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