Côte d’Ivoire – Taux d’échec élevés aux examens en zones rebelles
IPS News – [12/04/06]
KORHOGO, nord de la Côte d’Ivoire, 12 avr (IPS) – Près de quatre ans après le début de la crise politico-militaire qui a coupé la Côte d’Ivoire en deux, plus de 92.000 élèves des zones rebelles ont pu passer enfin des examens. Les résultats, proclamés début-avril, présentent des taux d’échec élevés.
Pour l’entrée en sixième, 34 pour cent des 60.140 candidats ont été admis au Certificat d’études primaires et élémentaires; tandis que 24 pour cent des 23.715 candidats ont obtenu le Brevet d’études du premier cycle (BEPC); et seulement 29 pour cent sont admis parmi les 8.776 candidats au baccalauréat (BAC), selon les résultats officiels.
Selon le ministère ivoirien de l’Education nationale, le taux d’absentéisme à ces examens s’élève à 25 pour cent. Candidate malheureuse au BEPC, Tina Bernadette Coulibaly, 19 ans, est inconsolable pour avoir échoué avec 85 points obtenus sur les 130 recommandés. "Je ne comprends pas. Nous ne sommes pour rien dans cette guerre qui nous pénalise pourtant", déplore-t-elle.
Autorisée à concourir depuis la session 2003-2004 du BEPC, Coulibaly n’avait pas pu se présenter, à cause des échecs constatés lors des négociations qui avaient lieu entre le ministère de l’Education et les responsables de l’école en zones rebelles.
"L’année suivante (2004-2005), toujours pas d’examens et je me suis inscrite en classe de première pour ne pas perdre une année. Il fallait donc étudier pour préparer le passage en classe terminale et, dans le même temps, se mettre à jour pour l’examen du BEPC, comme candidate libre. Ce n’était pas facile", raconte-t-elle à IPS pour expliquer son échec.
Contrairement à Coulibaly, Myriam Touré, 20 ans environ, est en joie. Inscrite au Lycée moderne de Ferkessedougou, dans l’extrême nord de la Côte d’Ivoire, elle est admise au BAC, série scientifique. "Je devrais passer mon examen en 2004, mais compte tenu de la situation de guerre, ce fut impossible. Alors depuis, je ne suis plus allée à l’école”.
”J’ai tout de même pris mon mal en patience en faisant des révisions à domicile. Grâce à Dieu, je suis admise. Mais je tiens à dire que, nous, élèves, nous sommes fatigués de cette guerre et nous voulons aller à l’école", déclare-t-elle à IPS, en pleurant.
Dans l’enseignement primaire, le constat est le même. Mais, Mamadou Ouattara, l’un des inspecteurs de la direction régionale de l’éducation nationale du nord, explique à IPS que ”les élèves qui étaient candidats à l’entrée en sixième durant ces deux sessions (2003-2004 et 2004-2005), et qui n’ont pu passer le concours, nous les avons autorisés à entrer au collège, en fonction de leurs moyennes de classe”.
”Pour nous, les résultats sont satisfaisants dans l’ensemble”, affirme Ouattara.
Selon Vassougbè Méité, professeur de mathématiques au Lycée moderne de Bouaké, quartier-général des rebelles, dans le centre-nord du pays, les résultats au BAC pour cette session sont satisfaisants, en comparaison avec le niveau national. "Ce que je relève, c’est le côté psychologique où les élèves n’étaient pas prêts parce qu’ils ne savaient pas exactement s’ils allaient composer ou pas", explique-t-il à IPS.
Après l’échec d’une tentative de coup d’Etat, le 19 septembre 2002, des soldats avaient pris les armes pour s’opposer à l’exclusion présumée des populations du nord de la Côte d’Ivoire. Et depuis lors, les rebelles occupent la moitié nord de ce pays d’Afrique de l’ouest.
L’occupation de plusieurs zones n’a pas permis l’organisation d’examens scolaires pendant deux années consécutives. Ce qui a compromis l’avenir de plusieurs milliers d’enfants dans une zone où la scolarisation connaissait déjà des difficultés liées souvent à des raisons culturelles, indique le Fonds des Nations Unies pour l’enfance.
Avec le retard enregistré dans le cursus scolaire de ces milliers d’enfants, l’objectif de l’éducation universelle ne pourra probablement pas être réalisé en Côte d’Ivoire d’ici à 2015, selon un spécialiste de l’enseignement. Cet objectif fait partie des huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) retenus par un sommet des dirigeants du monde, en 2000 aux Nations Unies.
Les autres OMD visent la réduction de moitié de la faim et l’extrême pauvreté, la diminution de la mortalité infantile de deux-tiers, la promotion de l’égalité de genre, et le recul de la propagation du SIDA et d’autres maladies qui font un assez grand nombre de victimes dans le monde en développement.
Après l’organisation des examens, les zones sous contrôle des rebelles sont confrontées désormais au manque d’enseignants et au faible taux de scolarisation des enfants. Malgré l’appel lancé par le ministère de l’Education nationale pour le retour des enseignants dans ces zones – avec des primes de motivation à l’appui -, beaucoup d’entre eux hésitent encore à y retourner.
Ouattara, inspecteur de l’enseignement primaire, indique que dans sa circonscription scolaire qui compte près de 500 enseignants, seulement deux sont de retour et 200 sont encore absents. "Nous avons dû recruter 132 bénévoles qui sont à la charge des comités villageois de gestion qui leur octroient une prime mensuelle d’environ 58 dollars, et du Programme alimentaire mondial qui leur donne un sac de riz chaque mois", révèle-t-il. Et "le matériel didactique fait grandement défaut".
Pour la scolarisation des enfants au cours préparatoire (1ère année), l’inspecteur souligne que les parents restent réticents dans les villages. "Ils avancent que ceux qui vont actuellement à l’école ne passent pas d’examens, et nul ne sait le sort qui leur sera réservé. Alors, ce ne sont pas ceux qui entreront (à l’école) aujourd’hui qui pourront avoir un avenir certain", rapporte Ouattara à IPS. "Ainsi, les travaux champêtres sont de plus en plus privilégiés et des écoles ferment leurs portes".
Selon Ouattara, l’organisation des examens scolaires, dans les zones rebelles, visait à sauvegarder l’année scolaire en cours (2005-2006). L’objectif ultime, dit-il, est de procéder à l’organisation commune, en zones gouvernementales et en zones rebelles, des examens de fin d’année et de faire une prochaine rentrée scolaire commune (2006-2007), si le processus de paix en cours aboutissait.
Un Premier ministre de transition, Charles Konan Banny, accepté par tous les protagonistes de la crise ivoirienne, a été désigné en décembre dernier par la communauté internationale. Sa mission principale est d’organiser l’élection présidentielle, avant le 31 octobre 2006, après le désarmement des combattants, l’identification du corps électoral, et la réunification du pays.