HENRI LOPES, ÉCRIVAIN CONGOLAIS

HENRI LOPES, ÉCRIVAIN CONGOLAIS : «En Afrique, la lecture est une attitude culturelle nouvelle»
Source : http://www.lesoleil.sn

Quand il n’est pas en Afrique, l’Afrique est en lui. L’écrivain et diplomate congolais Henri Lopes (présent à la Conférence des intellectuels africains et de la diaspora) est un afro-optismiste. Selon lui, il faut dépasser son identité personnelle et faire appel à une identité internationale. Objectif : y puiser sa force pour transformer sa société et le monde.

Qu’avez-vous retenu de cette rencontre des intellectuels africains à Dakar ?

« Je pense qu’il faut être exigeant concernant les objectifs de cette réunion, mais ne pas trop en attendre non plus. L’essentiel est d’essayer de participer à un mouvement d’abord pour mieux le définir ; d’essayer de fixer un espace et un mécanisme qui en assure la continuité et essayer de lui assigner également un rôle. Je ne suis pas venu à Dakar pour attendre des résultats efficaces. Je crois que nous sommes au début d’un processus qui doit d’abord évoluer puis, surtout, continuer. Il ne doit pas s’arrêter »

Au cours de cette rencontre, on a beaucoup parlé de l’identité africaine dans un contexte multiculturel. Quelle doit être la part de l’Afrique dans la diversité culturelle évoquée depuis quelque temps ?

« La diversité est surtout une notion qui a été lancée dans les cercles de la Francophonie et qui, ensuite, a été reprise au sein des Nations Unies par l’Unesco et d’autres organismes. Sérions les questions que vous avez posées : s’agissant de l’identité, je ne pense pas qu’il y ait une identité africaine, mais des identités africaines. Et tant qu’individu, j’incarne en moi plusieurs identités. J’ai une identité que j’appelle originelle qui provient de mon héritage. Je ne l’ai pas choisie et il a fallu, à l’époque d’avant l’indépendance, lutter pour l’affirmer. En effet, on nous niait notre personnalité dans les cultures et dans le monde des civilisations. Cette identité originelle m’aide à ne pas avoir honte de moi de la manière dont je me présente à d’autres, avec mes particularités. De ce point de vue, je crois que le mouvement de la Négritude a été extrêmement utile pour notre prise de conscience. Cependant, si on en reste uniquement à son identité originelle, on se replie sur soi et on est quelquefois agressif, avec des exclusions. Cette identité originelle, elle peut être africaine, ou simplement tribale, en rejetant d’autres Africains. C’est pourquoi il faut la dépasser et faire appel à une identité internationale. J’y puise ma force, mon évolution, les possibilités que j’ai de transformer ma société, le monde, en interrogeant, en écoutant d’autres esprits, d’autres créateurs dans le monde. C’est cette identité internationale qui fait que je suis quelques fois un écrivain plus proche de Goethe, de Montaigne, de Flaubert, de Diderot que je ne le suis de certains de mes compatriotes. Mais j’ajoute une troisième identité personnelle qui s’exprime, elle, à travers la démocratie et la liberté. Et je me dis qu’il faut faire un usage harmonieux et concomitant de ces trois identités.

Vous m’avez parlé de la diversité culturelle. Pour moi, je ne serais pas prolixe là-dessus parce que je trouve que c’est une évidence. Il faut accepter les identités des autres, la diversité culturelle. Et comme l’a dit un chercheur sénégalais dans une des commissions de cette conférence, il ne s’agit pas simplement de montrer de la tolérance envers les autres cultures, mais aussi d’être capable de leur donner de l’hospitalité »

En ce début du 21ème où l’on évoque cette diversité culturelle, peut-on encore parler de panafricanisme ?

« Le panafricanisme est une notion d’avant le 21ème siècle. Et vous savez le 21ème siècle ne fait que commencer avec l’an 2000. A-t-il même commencé ? Peut-être qu’il ne commencera qu’en 2015 et que nous sommes encore dans les effets du 20ème siècle ! Pour moi, dans tous les cas, le panafricanisme n’est pas hors de notre sujet de réflexion. C’est un élément qui a été essentiel. Il a plusieurs formes politiques ou culturelles, mais l’élément principal que j’en retiens c’est la nécessité de créer une unité africaine qui sera peut-être progressive, mais nécessaire dans le monde où nous sommes.

Je ne vois pas comment tous le reste de la planète se regroupe sur les plans économique, politique, dans divers domaines, et que les Africains s’imaginent demeurer dans une mosaïque d’Etats que Senghor appelait balkanisation. Certains de nos pays, dont le mien (le Congo Brazzaville, ndr), ont une population ou un marché inférieur à ceux de grandes villes du monde ! »

Pensez-vous que les intellectuels africains et ceux de la diaspora ont les coudées franches pour participer à la construction de cette unité africaine ?

« L’une des conditions est que tous les intellectuels, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Afrique, puissent bénéficier d’une liberté d’expression. Ce n’est pas la liberté des mains, mais la liberté d’expression, qui est importante. La possibilité de participer à la construction, c’est à nous d’y veiller. Je pense qu’une réunion comme celle-ci pose les jalons pour que les intellectuels puissent être, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile, un des éléments importants du dialogue. Que les gouvernants les écoutent ! C’est ce que j’ai appelé tout à l’heure les éléments du tableau de bord, la voix des intellectuels… »

Est-ce que, de nos jours, les intellectuels africains, comme jadis les écrivains de la Négritude, ont une influence sur leurs concitoyens ?

« Il faut d’abord dire que l’écrivain, quand il écrit, n’est pas un intellectuel. Il est un créateur, un artiste. Est-ce qu’ils ont un effet ? Je ne sais pas. En tout cas, il n’est pas immédiat. Si je veux faire passer des idées rapidement, il faudrait peut-être que je fasse de l’action politique. En revanche, nous nous aidons à modeler les esprits et les consciences. Nous, romanciers, n’avons pas d’impact à l’heure actuelle. Pourquoi ? Eh bien, parce que le lectorat africain n’existe pas encore. Non pas parce qu’il y a un grand nombre d’analphabètes dans nos pays, ce qui est vrai, mais parce que lire est une attitude culturelle nouvelle en Afrique. Même des gens qui sont diplômés ne lisent pas ou ne lisent que le journal. C’est déjà bien quand ils le font. Ils lisent les ouvrages dont ils ont besoin pour passer leurs diplômes. C’est tout. Pendant ce temps, l’Africain trouve les moyens de s’acheter des disques parce que la musique est dans sa tradition, dans sa culture. Les écrivains africains, c’est malheureux de le dire, sont plus lus dans la diaspora et dans le reste du monde que dans leurs propres pays…».

Vous êtes un écrivain, un homme politique ou un diplomate ?

« Je me considère comme un homme de la renaissance africaine. Comme les autres hommes des autres renaissances, j’ai une soif de culture, une soif de connaissance.

J’ai été présent dans plusieurs domaines d’activités, dans la politique et dans la création, mais le domaine où je me trouve le mieux est la création littéraire »

Quels sont actuellement vos rapports avec l’Afrique ?

« Mais ce sont des rapports permanents. Quand je ne suis pas en Afrique, l’Afrique est en moi ».
ENTRETIEN RÉALISE PAR OMAR DIOUF ET KARO DIAGNE

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