IRLANDE – Irlandais ne naît pas qui veut

IRLANDE – Irlandais ne naît pas qui veut

L’Irlande bénéficie de l’une des lois sur la nationalité les plus libérales d’Europe. Plus pour longtemps, si les Irlandais acceptent, par référendum, d’amender leur Constitution le 11 juin, le jour des élections européennes. Un débat qui secoue une Irlande en pleine mutation.

Le 11 juin prochain, les électeurs irlandais devront se rendre aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement européen. Une fois n’est pas coutume, en Irlande, ce scrutin sera doublé du renouvellement des conseils municipaux. Mais, comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement a décidé d’ajouter à cette double consultation un référendum sur le droit de la nationalité irlandaise !

Pour le moment, peu d’Irlandais s’expliquent cette soudaine consultation. En effet, souligne l’éditorial de l’Irish Times, "le referendum sort de nulle part : sans consultation préalable des partis de l’opposition, sans livre blanc préparatoire et surtout sans considération pour le Comité parlementaire en charge de la réforme de la Constitution». C’est le ministre de la Justice, Michael McDowell, qui a annoncé en mars dernier qu’il demanderait au peuple d’amender la Constitution.

Les textes en vigueur reconnaissent à tout enfant né sur l’île, Irlande du Nord comprise, le droit à la citoyenneté irlandaise. Avec son référendum, le gouvernement veut restreindre ce droit, "le plus libéral d’Europe" selon le Premier ministre Bertie Ahern, ne pourra devenir Irlandais qu’un enfant né sur le territoire d’un parent non-irlandais ayant vécu au moins trois des quatre dernières années en Irlande. Avec ce nouveau texte, le gouvernement veut aligner sa législation sur celles qui existent déjà en France ou au Royaume-Uni. Cependant, quelle mouche a bien pu piquer le gouvernement pour se précipiter ainsi ? "Nos lois sont plus libérales que dans d’autres pays de l’Union européenne ? Et alors !" s’énerve un chroniqueur du mensuel The Dubliner.

En effet, le gouvernement irlandais n’a jamais été clair sur ses intentions et surtout sur ses justifications. "Nos politiciens changent plus souvent leur argumentaire sur ce référendum que George Bush n’a changé d’excuses pour envahir l’Irak", assure, vachard, Gene Kerrigan du Sunday Independent. "Ils ont commencé par dire que les maternités irlandaises étaient envahies par des femmes immigrées pour donner naissance à des Irlandais. Ensuite, ils ont défendu l’idée que ce référendum permettrait de protéger ces pauvres immigrées, que Dieu les bénisse, qui prennent des risques en se rendant en Irlande, enceintes. Elles comptent tellement pour nous que nous nous devons d’organiser un référendum pour les bloquer à la frontière, pour leur propre bien. Cette excuse a vité été abandonnée. Les politiciens justifient maintenant la consultation par une faille dans la législation actuelle. Mon Dieu, il y a un vide dans notre droit, et la nature a horreur du vide. Nous avons besoin d’un référendum pour le combler. Bien. Mais la place manque ici pour citer toutes les autres failles que l’on tolère dans ce pays… et que l’on se refuse à reboucher."

"Ce référendum peut faire sens", reconnaît pourtant l’éditorialiste Ronan Mullen de l’Irish Examiner. "Avant 1998, tout enfant né en Irlande pouvait bénéficier de la citoyenneté irlandaise. Cette loi [de 1956] pouvait être modifiée par n’importe quelle autre loi. Puis, avec la signature de l’accord du Vendredi saint [en Irlande du Nord], les modalités liées au droit de la nationalité furent constitutionalisées. Parce que nous ne pouvons vérifier qui entre en Irlande du Nord, et parce qu’il existe une zone sans douane entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, nous nous sentons vulnérables. De même, la citoyenneté de l’Irlande se confond aujourd’hui avec la citoyenneté de l’Union européenne. Avec sa loi libérale, l’Irlande est une porte d’entrée potentielle pour des milliers de personnes désirant procurer à leurs enfants cette citoyenneté européenne."

L’Irish Examiner assure qu’en 2003, "1707 enfants sont nés en Irlande de mères non-irlandaises, contre 257 trois ans plus tôt". Mais il ne précise pas pas de quelle nationalité sont les mères. "Non-Irlandaise" peut aussi bien vouloir dire Belge qu’Ukrainienne ou Américaine. Enfin, l’Irish Examiner oublie de signaler la chute importante du taux de natalité des femmes irlandaises. Pourtant, "c’est à la lumière de ces chiffres" que le journal "appelle à voter pour le oui au référendum. Un référendum qui n’est pas l’expression du racisme, mais d’un civisme bien compris."

Cette prise de position est partagée par le quotidien populaire Irish Independent mais repoussée par l’Irish Times. Mary Raftery, chroniqueuse du journal et reporter pour la chaîne nationale RTE, explique qu’"avec un taux de natalité en baisse et les conséquences économiques que cela entraîne, il est à la fois inévitable et impératif que notre société devienne multiethnique. Devant le cynisme du gouvernement face à cette évidence, on peut craindre que les transformations sociales qui nous attendent ne soient chargées de peur, de ressentiment et de racisme." Signes des temps, selon un sondage du Sunday Business Post, 63 % des Irlandais "sont inquiets aujourd’hui du niveau de racisme existant en Irlande", et 39 % assurent que "ce référendum va encourager le racisme". D’ailleurs, le Front national britannique (BNP) lance pour la première fois des candidats en Irlande avec comme slogan "L’Irlande aux Irlandais" et compte bien faire une percée aux élections communales. Mais les électeurs avertis se souviendront qu’il y a à peine quelques années, ce même parti attaquait à longueur de réunions publiques au Royaume-Uni la "vermine irlandaise" !

Malgré cela, la tendance générale dans les sondages publiés est à l’acceptation de la réforme de la nationalité. Selon le Sunday Business Post, 55 % des Irlandais sont en faveur de la modification. L’Irish Times en dénombre 54 %. Seul l’Irish Independent prévoit une victoire du "non", avec 41 % de voix pour l’amendement et 44 % contre. Reste que les jeux ne sont pas faits, car, comme dans tout référendum, beaucoup de facteurs entrent en jeu. Au premier rang desquels l’usure du parti au pouvoir : le Fianna Fail, le parti du Premier ministre Bertie Ahern, est au pouvoir depuis plus de sept ans et sa popularité décline.

Beaucoup de citoyens semblent même perdus : "C’est le oui ou le non qu’il faut choisir pour changer la Constitution ?» demande une lectrice à l’Irish Times. En fait, le bulletin "non" permettra de refuser l’amendement.

Philippe Jacqué
Source : http://www.courrierinternational.com

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