La vie en fragile équilibre des étudiants salariés

La vie en fragile équilibre des étudiants salariés
LE MONDE | 17.01.05 | 14h36
http://www.lemonde.fr

Une grande majorité des jeunes inscrits dans l’enseignement supérieur travaillent pour financer leur formation, selon un sonsage de l’UNEF rendu public lundi. Agent d’accueil dans une patinoire, caissier à Auchan, réceptionniste de nuit à l’hôtel : ils tentent de concilier deux rythmes concurrents
Ils ont entre 18 et 30 ans et sont des étudiants salariés. Pour financer leurs frais d’inscription, payer leur chambre, boucler leur budget alimentation ou s’offrir un minimum de loisirs, deux étudiants sur trois ont recours à des activités rémunérées, selon un sondage CSA, rendu public lundi 17 janvier par le principal syndicat étudiant (gauche), l’UNEF.

Certains, parmi eux, n’accomplissent que quelques heures par semaine, glissant une garde d’enfants ou un peu de soutien scolaire dans leur emploi du temps. Mais d’autres cumulent deux activités concurrentes : les études d’un côté et un travail à mi-temps de l’autre. Plus de 120 000 étudiants se trouvent dans cette situation, selon l’estimation de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE). Témoignages sur la difficulté à concilier ces deux activités.

Julien, agent d’accueil.
Julien, 22 ans, n’avait pas le choix : pour éviter la "galère" de ses parents "smicards" et faire des études supérieures, il lui fallait financer sa formation. Originaire de Narbonne (Aude), il a dû quitter le foyer parental pour aller à Nîmes (Gard), en IUT de génie mécanique. Pour payer le loyer de son appartement, il travaille une vingtaine d’heures par semaine dans une patinoire. "Ça représente entre 300 et 500 euros par mois. Entre ma bourse et la CAF (l’allocation logement versée par la caisse d’allocations familiales), je reçois quelque 200 autres euros."

Reste à concilier son travail avec sa formation, soit 35 heures environ de cours par semaine. "L’avantage, c’est qu’on apprend à s’organiser. Je n’ai pas vraiment le choix : comme je travaille le week-end, tout mon travail universitaire doit être terminé pendant la semaine." L’inconvénient, c’est que l’on sature vite à ce rythme : Julien a redoublé sa deuxième année d’IUT.

Jason, caissier.
En licence d’économie, Jason, 22 ans, habite chez ses parents, à Bordeaux. Ceux-ci ont des revenus confortables mais une famille nombreuse : six enfants, dont trois à l’université. Il lui faut participer aux dépenses collectives, payer ses transports, s’offrir un minimum de loisirs et… son tabac à rouler. Jason travaille vingt heures par semaine – le samedi et le dimanche, 7 heures par jour, et en soirée, entre 17 heures et 20 heures – comme caissier chez Auchan. Son contrat à durée déterminée, renouvelé tous les ans, lui rapporte 600 euros environ par mois.

"J’essaye de rater un minimum de cours mais le rythme n’est pas évident : ça me fait facilement 50 heures par semaine." Son université se révèle assez conciliante : pour les étudiants salariés, il est possible de choisir les jours et les horaires de ses travaux dirigés. Mais cela ne suffit pas : Jason a redoublé sa deuxième année.

Fanny, chez McDonald’s.
Fanny, 21 ans, est étudiante en licence d’histoire à Brest. A raison de 65 heures mensuelles, elle troque ses habits d’étudiante pour l’uniforme du McDonald’s local. Etant donné les revenus de ses parents, elle aurait pu bénéficier d’une chambre en cité universitaire et se passer de travailler. Mais elle préférait vivre en centre-ville. Entre le smic et les primes, McDonald’s lui verse entre 400 et 500 euros par mois. Ses parents lui donnent 150 euros, et la CAF lui accorde une aide au logement d’une centaine d’euros. Boursière de "niveau zéro", elle est dispensée des frais d’inscription.

"C’est limite mais suffisant. Je réussis à avoir une vie culturelle."Elle affirme ne subir aucun préjudice sur le plan du travail universitaire : comme l’entreprise lui accorde des congés sans solde, elle peut modifier son rythme en période d’examens. Avec vingt heures de cours par semaine, elle ne vit "pas le bagne", mais doit naviguer entre ces contraintes : "Les autres font la fête et moi je travaille."

Stéphanie, assistante de vie.
Stéphanie, 21 ans, est en licence de psychologie à Paris-X, où elle suit vingt-cinq heures de cours par semaine. Compte tenu des revenus de ses parents, elle bénéficie d’une bourse du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires), échelon 4, soit "environ 3 000 euros par an". "Mais je ne sais jamais à quel rythme je vais percevoir ma bourse. J’ai eu 1 000 euros en septembre, et, depuis, plus rien." Son père lui donne 100 euros par mois. Grâce au Crous, toujours, Stéphanie habite à la Cité universitaire de Paris dans une chambre qui lui coûte 128 euros par mois.

"J’ai toujours travaillé", affirme-t-elle. Baby-sitter d’abord, assistante de vie, ensuite, grâce à sa mère, elle-même dans le métier. Pour 400 euros par mois, elle passe donc trois heures le vendredi, trois heures le samedi et toute la journée du dimanche chez une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer. "Au début, elle me tapait. Avec la maladie qui a avancé, elle a arrêté. Maintenant, ça va", juge Stéphanie, qui regrette de ne pas plus souvent sortir avec ses copains. "Quand il faut se lever à 8 heures le dimanche, on ne va pas en boîte de nuit la veille."

Mohand, 22 ans, réceptionniste de nuit.
Mohand est en master informatique à Paris-VI. Il a quitté sa Kabylie natale il y a plus de trois ans pour suivre ses études supérieures en France. Plus tard, il reviendra en Algérie, certain qu’avec un diplôme français "prestigieux" il trouvera "un bon travail". Ses parents, fonctionnaires, n’ont pas les moyens de l’aider. Comme il n’est pas français, il n’a pas accès aux bourses du Crous. Et même s’il a obtenu une chambre pour 128 euros par mois en résidence universitaire à Antony – "neuf mètres carrés décatis", affirme cet adhérent de l’UNEF -, il lui faut travailler.

Il donne des cours particuliers, à 15 euros l’heure. Mais le gros de ses revenus – entre 250 et 400 euros par mois -, il le tire de son travail de réceptionniste dans des hôtels. Il y passe trois nuits par semaine dont celle du samedi. "En ce moment, je révise mes partiels, alors je ne travaille que le samedi", explique-t-il. Chaque fois, il valide son année lors de la session de rattrapage de septembre. "Je rate trop de cours le matin. Un pote me fait des photocopies mais c’est difficile de tout rattraper. L’été, je travaille à plein temps ; la nuit, à l’hôtel, j’ai le temps de réviser, raconte Mohand. D’habitude, on dit qu’il faut étudier pour avoir un bon travail. Moi, c’est l’inverse. Je dois travailler pour faire des études dans de bonnes conditions."

Luc Bronner et Virginie Malingre

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 18.01.05

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *