Les Burkinabés d’Abidjan vivent dans la peur

Les immigrés africains en Côte d’Ivoire se sentent menacés par le discours nationaliste du camp de Laurent Gbagbo

Kaboré vit en Côte d’Ivoire depuis deux ans. Depuis qu’il a quitté le Burkina Faso, en quête de travail et d’aventure. Le jeune homme de 27 ans vit dans une baraque de fortune avec deux amis. Une seule petite pièce dans laquelle tiennent tant bien que mal un lit qu’ils se partagent à trois, une télévision, quelques vêtements étendus sur un fil, et un réchaud. « C’est dur pour nous, ici. Si j’avais su que cela serait aussi difficile, je ne serais jamais parti de chez moi », lance-t-il.

Une fois arrivé à Abidjan, il a passé neuf mois à chercher du travail, et trouvé finalement un emploi de gardien. « Je m’en sortais, raconte-t-il. Mais depuis deux mois, c’est intenable. Le camp de Laurent Gbagbo tient un discours dirigé contre les étrangers. Cela nous empêche de vivre. » Les tensions, dit-il, ont commencé avec la campagne pour le second tour de l’élection présidentielle, quand la question identitaire est réapparue. Beaucoup de supporteurs de Laurent Gbagbo accusent Alassane Ouattara de ne pas être ivoirien, mais burkinabé.

Kaboré considère actuellement qu’il est « trop risqué » de sortir. Il n’ose plus aller à l’autre bout de la ville pour travailler. « On ne peut pas masquer nos origines, dit-il. Les gens nous reconnaissent à notre accent, à nos noms de famille. » Il reste donc dans son quartier et, pour vivre, multiplie les petits boulots, les coups de main.

Surenchère nationaliste

Sa baraque se situe dans une petite cour, dans le quartier de Deux-Plateaux. Loin des rues éclairées et tranquilles de cet arrondissement chic de la capitale économique, il partage un petit espace avec une quarantaine de personnes, toutes burkinabées. Cachées derrière l’avenue principale, une dizaine de maisonnettes au confort minimal encerclent un patio carrelé, qui sert de lieu pour la prière. Kaboré, comme la quasi-totalité de ses voisins, est musulman.

La communauté burkinabée se sent directement menacée par la surenchère nationaliste du camp de Laurent Gbagbo, relayée chaque jour par la télévision publique. « On entend qu’ils vont venir nous faire la peau, nous les Burkinabés, parce que notre président a lâché Laurent Gbagbo », explique Ouedraougou, qui vit depuis quarante ans à Abidjan. Tenancier d’un petit bar de rue, il dit avoir beaucoup plus peur qu’en 2002-2003, quand la guerre civile a éclaté. « À cette époque, l’Afrique de l’Ouest n’avait pas évoqué l’option militaire. On se dit maintenant que s’ils utilisent la force pour chasser Laurent Gbagbo, c’est sur nous que cela va retomber en premier », dit-il.

Tous sont à l’écoute des moindres bruits, à l’affût de toutes les rumeurs. « On appelle plusieurs fois par jour nos frères, nos amis qui vivent dans les autres quartiers pour savoir ce qui se dit », raconte Sawadogo. Cet homme de 33 ans, petit commerçant, a quitté le village pro-Gbagbo de Blockhaus, situé au bord de la lagune d’Abidjan. « Quand je sens que la situation peut se dégrader, je viens ici. Je m’y sens plus en sécurité », dit-il. À ses côtés, Sana, une femme de 42 ans, mère de six enfants, soupire : « Depuis quelque temps, je ne dors plus la nuit. »

Quatre millions de Burkinabés

Aucun d’eux, jusqu’à présent, n’a fait l’objet d’attaques. « Peut-être qu’on se monte un peu trop la tête, concède Ouedraougou. Mais certains de nos amis ont déjà été attaqués, et le discours contre les Burkinabés est très fort. Ils disent qu’on est des voyous, qu’on vient prendre le travail des Ivoiriens… » Quatre millions de Burkinabés vivent en Côte d’Ivoire. Beaucoup y sont nés, certains sont la troisième génération à vivre ici. Tous restent considérés comme des étrangers.

Pour alléger leur peur, les habitants se sont organisés. Ce soir-là, à 22 heures, les deux entrées donnant sur la cour sont déjà barricadées. « On a tout préparé, car ils peuvent arriver par surprise », dit Ouedraougou en montrant les barrières de fortune, faites de planches. « Cela ne nous protégera certainement pas longtemps. Mais si on nous attaque, on aura le temps de se mobiliser », explique-t-il. À quelques mètres des barrières, les habitants ont placé des casseroles et pots de peinture vides. « Tout est prêt, poursuit Ouedraougou. Si des gens viennent, on frappera tous sur les casseroles pour réveiller le quartier. » Quatre autres communautés burkinabées vivent au bord de la rue.

La plupart pensent à partir. Les cousins de Ouedraougou sont déjà rentrés au Burkina Faso, en passant par le Ghana voisin, beaucoup plus sûr. « Moi, j’aimerais bien, lance Kaboré. À la première occasion, je pars. Mais sans argent, je suis coincé ici. »

Olivier MONNIER, à Abidjan
29/12/2010
Source: http://www.la-croix.com

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