Les universités américaines font-elles encore recette ?

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ÉTATS-UNIS Les étudiants étrangers boudent l’Amérique depuis les attentats du 11 septembre 2001
Les universités américaines font-elles encore recette ?
Justine Ducharne
[30 juin 2004]
Les universités américaines doivent faire face à une crise inattendue. Selon plusieurs études statistiques nationales, elles enregistrent une chute importante du nombre de candidatures étrangères pour la rentrée prochaine, par rapport à celle de 2003. Un article de l’hebdomadaire italien L’Espresso précise que cette chute atteindrait 32%. Le nombre d’étudiants universitaires étrangers est aujourd’hui de 210 000 (les Etats-Unis comptent 580 000 étudiants internationaux inscrits dans un college ou une université, soit 4% du total des effectifs de l’enseignement supérieur) ; il était de 300 000 avant le 11 septembre.

«A Harvard comme partout dans le pays cette année, les candidatures internationales ont chuté de manière vertigineuse, alarme Lawrence H. Summers, président de l’université de Harvard dans une lettre qu’il a récemment adressée à Colin Powell, secrétaire d’Etat. Les candidatures des Chinois ont baissé de 40% dans nos programmes graduate. Mes professeurs ne cessent de me raconter que les étrangers talentueux optent plutôt pour des études en Europe ou en Australie.»

Danielle Guichard-Ashbrook, vice-recteur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) se demande si «les étudiants étrangers se sentent aujourd’hui moins bienvenus qu’hier aux Etats-Unis». De fait, cette année, les titulaires étrangers d’une licence venus se spécialiser au MIT, l’une des universités les plus prestigieuses du continent, ont chuté de 17%.

Ailleurs, la situation est tout aussi alarmante, et à tous les niveaux. Les jeunes chercheurs inscrits en première année de doctorat ont diminué de 25%. Le nombre de doctorants chinois et d’Indiens s’est effondré : de 76% pour les premiers et 58% pour les seconds – l’Inde et la Chine restent cependant les plus gros fournisseurs. Même topo pour les Sud-Coréens, les Moyen-Orientaux et les Européens.

Les étudiants en situation d’échanges universitaires et les lycéens qui viennent passer une année dans une école américaine ont baissé de 220 000 à 200 000. Par ailleurs, les étrangers recherchant un Master ou un PhD sont passés de 230 000 à 170 000.

Face à cette crise, Lawrence H. Summers a organisé il y a quinze jours, une rencontre entre ses collègues des universités les plus prestigieuses et Colin Powell, afin de mettre en lumière la gravité de la situation. Car non seulement cette désaffection émet un signal symbolique fort et inquiétant, mais elle pose une question plus triviale : selon l’Institute of International Education (IIE), les étudiants étrangers rapportent quelque 13 milliards de dollars chaque année aux caisses des universités américaines, de l’économie et de l’Etat.

Autre danger : on sait que depuis des décennies – les responsables de l’enseignement supérieur européen en font les frais –, travailler dans un laboratoire américain est le rêve de centaines de milliers des jeunes cerveaux, convaincus que seuls les Etats-Unis peuvent leur donner les moyens de l’excellence. Une excellence qui pourrait bien être remise en question et décliner si cette désaffection se confirme et s’amplifie. Quasiment 50% des étudiants inscrits en Master ou PhD technico-scientifiques sont des jeunes étrangers. «C’est en grande partie un problème de visa et de crainte du terrorisme, avance Lee C. Bollinger, président de Columbia (lire l’entretien ci-dessous). «C’est dû à l’allongement du processus d’obtention du visa, martèle, inquiet, Lawrence H. Summers. Lors de ma récente visite au Chili et au Brésil, de nombreux étudiants prometteurs m’ont informé qu’ils ne se sentent plus les bienvenus dans notre pays.»

De fait, obtenir son permis d’étudier aux Etats-Unis prend aujourd’hui deux mois, alors qu’il suffisait de deux semaines jusqu’à il y a trois ans. Les organisations estudiantines indiennes soutiennent même que trois mois ne suffisent pas. Considérés comme des étudiants «à risque», les Indiens doivent remplir un dossier appelé «Mantis» qui sert à déterminer, outre l’identité du candidat, son domaine d’études. Or, les disciplines classées «sensibles» sont de plus en plus nombreuses, de la biologie nucléaire à la cryptographie, et nécessitent une circonspection toute particulière. Les Arabes et les musulmans doivent passer au travers de filets encore plus sélectifs, via le processus «Condor». Souvent, les étudiants issus de pays non grata qui retournent pour un bref séjour dans leur patrie d’origine doivent recommencer le processus depuis le début, sans aucune assurance d’être autorisés à pénétrer à nouveau le territoire américain. «Un chercheur en biochimie et biologie moléculaire de Harvard a dû rentrer chez lui à Pékin pour les funérailles de son père. Il a mis cinq mois à obtenir le droit de revenir. Sa place avait été pourvue entre temps», dénonce Lawrence H. Summers.

Mais les recteurs craignent que le problème du visa ne soit pas la seule explication au phénomène de désaffection. «Les études aux Etats-Unis sont chè res, et la concurrence des universités dans le monde s’est accrue» souligne Lee C. Bollinger.

De fait, les autres pays, prenant conscience des enjeux de la compétition internationale et de la fuite des cerveaux, ont investi massivement dans les structures universitaires afin d’attirer les plus brillants des étudiants et des jeunes chercheurs. Un nombre croissant d’entre eux s’inscrit dans les universités britanniques, françaises, canadiennes, australiennes et allemandes, dont le coût est bien évidemment inférieur. Pour certains, la montée de l’anti-américanisme y est également pour quelque chose.

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