Les vertus de l’exemple

Les vertus de l’exemple La chronique d’Yves de Kerdrel
[22 novembre 2005]
Source : Le Figaro

Kim Goodman est vice-présidente de Dell. Elle est diplômée de sciences politiques, affiche un MBA de Harvard et un master en ingénierie industrielle de Stanford. Elle a 40 ans et elle est noire. «La seule façon pour la communauté noire d’améliorer sa condition, affirme-t-elle, c’est de se concentrer sur les études, de faire des percées majeures dans le monde des affaires et d’augmenter sa participation au capitalisme.» Classée parmi les 50 dirigeants noirs les plus influents, elle n’hésite pas à multiplier les interventions dans les colloques pour répéter son credo.
D’autres ont l’esprit moins militant, mais ils n’en constituent pas moins des exemples pour l’ensemble des minorités ethniques américaines. C’est évidemment le cas de Stanley O’neal, le directeur général de Merrill Lynch. C’est le cas aussi de Richard Parsons, le PDG d’AOL Time Warner. C’est le cas enfin de Vernon Jordan, l’ancien conseiller de Bill Clinton, devenu banquier-conseil chez Lazard, et l’un des faiseurs de rois les plus écoutés à Wall Street.

On pourrait multiplier les exemples, tant le black power est désormais une réalité bien visible dans le capitalisme américain, et tant les autres minorités ethniques sont en train de suivre la même voie. Qu’il s’agisse des Indiens. Et bientôt des Chinois qui viennent faire leurs études dans les universités américaines, et dont les quatre cinquièmes restent travailler sur place.

En Grande-Bretagne si ces minorités sont beaucoup moins visibles, elles représentent tout de même 1% des dirigeants d’entreprise faisant partie du fameux indice FTSE 100. Bien sûr, chacun sait que le patron de Vodafone, Arun Sarin, est d’origine indienne. Mais, comme il a fait l’essentiel de sa carrière professionnelle aux Etats-Unis, il est plus connu pour ses lunettes rouges que pour la couleur de sa peau. Il n’en représente pas moins un symbole pour l’ensemble de sa communauté. Et tout récemment une étude faite par le département britannique du Commerce et de l’Industrie montrait que 27 administrateurs du FTSE 100 faisaient partie des minorités ethniques.

En France, la situation est bien moins exemplaire. Il y a évidemment la figure emblématique de Yazid Sabeg, le patron de CS, l’ex-Compagnie des signaux. Il y a aussi Lionel Zinzou, banquier chez Rothschild et béninois d’origine. Il y a encore Fatine Layt, l’associée franco-marocaine de Jean-Marie Messier. Mais, de la même manière qu’aucune femme ne dirige une entreprise du CAC 40, aucun représentant de nos minorités ethniques n’est encore parvenu au sommet de ces sociétés.

Sans doute est-ce là le résultat d’une pratique endogamique du management, qui réserve aux grands corps de l’Etat beaucoup des places les plus enviées. Sans-doute est-ce aussi le défaut d’une société qui refuse à la fois la politique des quotas – dont le président de la République a bizarrement estimé la semaine passée qu’elle montre du doigt ceux qui en bénéficient – et la discrimination positive dont on voit pourtant les effets encourageants de l’autre coté de l’Atlantique. Et ce manque de couleurs au sein du capitalisme français est une double lacune.

D’abord parce que l’absence de Beurs ou de Noirs à la tête de grands groupes entretient l’idée que le monde des affaires est formaté pour des jeunes diplômés blancs issus de l’Ouest parisien. Elle signifie aussi qu’il n’y a pas d’exemple de réussite pour les minorités. Et, tant qu’il n’y a pas d’exemple, il est beaucoup plus difficile pour un Beur ou un «Black» de se projeter dans ce type d’avenir, et de chercher à avoir lui aussi sa part du gâteau en rejoignant un grand groupe malgré les difficultés à l’embauche, ou en créant sa propre entreprise.

Le second problème tient au fait que l’absence de représentants des minorités ethniques dans le top management des entreprises laisse penser que, si l’insertion est mal en point, l’ascension sociale l’est davantage encore. A la différence de ce qui se passe à Wall Street, où le «black power», tout en ne représentant que 1% des 500 premiers groupes américains, suffit à créer un climat d’émulation et de stimulation auprès de toutes les minorités. Au point que 30% des créations d’entreprises aux Etats-Unis sont désormais le fait d’immigrants.

Toute la question est maintenant de savoir comment faire pour que la France rattrape son retard en la matière et comble ces deux carences. Et là il faut bien reconnaître que le cocktail américain, fait à la fois de discrimination positive, de politique des quotas et d’immigration choisie, comporte bien plus d’avantages que d’inconvénients.

Et puis, si la raison ne suffit pas, il reste l’argument du business qui ne peut laisser indifférents ni des entrepreneurs ni des actionnaires. La diversité crée de la richesse. Et les minorités disposent d’une capacité de résilience qui peut être transformée en énergie positive. On le voit avec les femmes, qui, selon certaines études, obtiendraient de bien meilleures performances boursières que leurs homologues mâles lorsqu’elles sont aux commandes. On l’a vu aussi à New York quand les ventes des grands magasins ont redécollé après que la politique des quotas a été instaurée parmi les vendeurs et les vendeuses. Et là c’est tout simplement ce que l’on appelle joindre l’utile à l’agréable.

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