Mali – Les jeunes font tout pour émigrer en Occident

Mali – Les jeunes font tout pour émigrer en Occident
IPS – [19/02/04]

BAMAKO, 19 fév (IPS) – Ils sont de nombreux jeunes Maliens à faire le pied de grue devant les consulats de France et des Etats-Unis à Bamako pour obtenir un visa et émigrer.

Devant le consulat de France à Bamako, la capitale malienne, le nombre des candidats à l’émigration s’accroît chaque jour. Cheick Kéita, 30 ans, jeune diplômé de l’Ecole nationale d’administration (ENA) de Bamako, n’en finit pas d’étaler ses misères.

”Il y a longtemps que je traîne. J’ai exercé beaucoup de petits métiers. Plusieurs fois, j’ai tenté, sans succès, le concours d’intégration à la fonction publique. Je crois qu’il est aujourd’hui grand temps pour moi d’aller tenter ma chance ailleurs”, a-t-il déclaré à IPS.

Un autre, Moussa Touré, jeune sans emploi fixe, évoque lui aussi ses raisons : ”Ici, nous sommes pratiquement sans réelle perspective d’avenir.. Je pense qu’il vaut mieux, pour nous autres, d’aller en Europe où l’on peut trouver une bonne situation…”.

Comme Yaguiné Koïta et Fodé Tounkara – deux jeunes Guinéens retrouvés morts le 4 août 1999 dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena à l’aéroport de Bruxelles – les jeunes Maliens, rêvent de l’eldorado occidental. Là-bas, ils pensent y trouver un minimum de bien-être, fuyant ainsi les dures réalités du pays, schématisées notamment par un chômage endémique et la pauvreté.

Obnubilés par les mirages de l’Occident, les volontaires à l’exil au Mali ont jeté leur dévolu sur deux pays : la France et les Etats-Unis. Pour se voir ouvrir larges les portes de ces ”paradis” tant convoités, des indiscrétions avancent des chiffres avoisinant les deux à trois millions de francs CFA.

Un dollar US équivaut à 510 FCFA environ.

Les candidats à l’émigration ne manquent point de subterfuges pour atteindre leurs objectifs. ”J’en connais qui ont profité d’une tournée d’un artiste malien aux Etats-Unis pour obtenir un visa”, affirme Oumar Diallo, en quête du précieux sésame depuis trois mois.

D’autres, par contre, n’hésitent pas à usurper l’identité d’autrui ou à profiter simplement d’un visa de tourisme pour s’éclipser définitivement.. Grâce la souplesse dans la délivrance du visa étudiant, nombreux sont aussi les scolaires à s’aligner sur la ligne de départ.

Pour l’obtention d’un visa américain, le plus difficile, selon plusieurs connaisseurs, c’est de fournir une garantie bancaire. Dans ce cas, la complicité d’un banquier ou d’un proche parent est d’un apport essentiel. ”C’est un jeu d’enfant pour avoir ce genre de justificatif. Même si on me demandait une garantie bancaire de 20 millions FCFA, je l’apporterai”, confie, sans gêne, un habitué du milieu.

Excités par la perspective de fouler un jour le sol américain, beaucoup d’autres jeunes ne jurent présentement que par la carte verte, document de base d’une loterie qui fait, chaque année, 50.000 heureux gagnants, autorisés à s’installer légalement aux Etats-Unis. ”Quand j’ai appris l’existence de cette carte, je suis venu m’inscrire sur-le-champ”, indique un postulant, errant devant l’ambassade des Etats-Unis à Bamako.

Un tour à la police des frontières permet de se faire une idée du nombre de candidats à l’exil : ”Nous délivrons en moyenne 200 passeports par jour”, confirme un agent de la police de l’immigration sous couvert de l’anonymat.

Le nombre des Maliens de la diaspora est estimé à environ 4 millions, selon le ministère en charge des Maliens de l’extérieur, soit près du tiers de la population totale du pays.

Selon le président du Haut conseil des Maliens de l’extérieur, Dramane Chérif Haidara, ces Maliens mobilisent, de manière efficace, des ressources pour l’investissement collectif. ”A leur actif, de nombreuses réalisations sont financées, à savoir des écoles, des centres de santé, d’alphabétisation, des forages…”, ajoute Haidara. Selon un document du ministère malien des Affaires étrangères, élaboré en 1997, les Maliens de l’extérieur ont transféré, pour la seule année de 1995, la somme de 86,874 milliards FCFA. Et au premier semestre de 1996, les transferts de l’extérieur vers le Mali étaient estimés à 66,974 milliards FCFA.

Conscientes de cet apport, les autorités soutiennent ouvertement les Maliens de l’extérieur, et même le phénomène de l’immigration. En guise d’illustration, lors de la récente visite au Mali, en octobre 2003, du président français Jacques Chirac qui déplorait l’immigration clandestine, son homologue malien, Amadou Toumani Touré, lui avait répondu : ”Nos compatriotes contribuent de manière positive au développement de leur pays. Ils envoient, chaque année, l’équivalent de la totalité de l’aide au développement que le Mali reçoit de la France”.

De l’avis du sociologue Aly Coulibaly, le seul moyen de combattre l’immigration clandestine, c’est de lutter contre la pauvreté et le sous-développement. Pour lui, l’immigration est liée à ces deux facteurs. C’est le même argument qu’avancent les immigrants clandestins.

Au Mali, l’immigration clandestine a infecté, comme un ”virus”, une bonne partie de la jeunesse, ironise un comédien. Comme l’illustre à merveille un groupe de jeunes en quête de visa, que IPS a rencontré devant le consulat français à Bamako. Chaque fois que les forces de l’ordre les chassent, ils entonnent ce refrain : ”Même s’il faut notre sang, nous irons de l’avant…, nous irons en France”.

http://www.ipsnews.net/fr/interna.asp?idnews=2057

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