Méfiance envers les diplômés africains

Méfiance envers les diplômés africains

Difficile pour un étudiant africain de faire reconnaître ses diplômes en Europe pour y poursuivre ses études : il n’existe plus d’équivalence automatique des titres et les redoublements sont fréquents. Un vrai parcours du combattant.

Le constat fait mal, mais il est généralisé : les universités européennes se méfient de la valeur des diplômes présentés par les étudiants africains qui souhaitent y poursuivre leurs études. En cause, généralement, la qualité, estimée faible, de la formation préalable de ces étudiants et, parfois des doutes sur la manière d’obtenir ces diplômes. En clair, même si le mot n’est pas prononcé devant un journaliste : le risque d’avoir obtenu son parchemin par la corruption.
Xavier Renders , vice-recteur aux affaires étudiantes de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL-Belgique) reste nuancé : " En Afrique, la qualité des universités varie fortement, de même qu’entre les facultés ou départements. Certaines équivalent à ce qui existe en Europe, d’autres sont médiocres".
En France, avoir un diplôme étranger ne suffit pas pour s’inscrire à l’université ou dans une école au même niveau. Ainsi, peut-on lire sur le site Internet du rectorat de l’Académie de Montpellier, qu’il n’existe pas de principe juridique d’équivalence entre les titres et les diplômes obtenus à l’étranger et les diplômes français délivrés par le ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche". C’est à la structure d’accueil (école, université) de décider seule si elle accepte ou non un étudiant étranger avec tel ou tel diplôme. L’équivalence automatique qui a longtemps été la règle n’existe plus, à l’exception de rares accords spécifiques entre universités.
Selon les responsables d’universités et de Hautes écoles, interrogés en Belgique, le problème le plus fréquent est la forte différence de niveau entre les étudiants du Sud et du Nord porteurs d’un titre équivalent. Les premiers ont dès lors du mal à suivre les cours auxquels ils s’inscrivent, et vont d’échec en échec. "On en voit beaucoup qui ne peuvent pas suivre en cours du jour, s’inscrivent alors à des cours du soir et finissent par abandonner", explique Nathalie Van Droogenbroeck, de l’ICHEC (Bruxelles).

Evaluation subjective?

Parfois, les autorités académiques donnent l’impression de multiplier les obstacles sur la route des candidats. Une femme, ancien membre de la commission de recours de l’Université libre de Bruxelles, rapporte que souvent les refus n’étaient pas motivés, si ce n’est par le simple constat que la formation n’est pas adéquate. Une suspicion peu appréciée des étudiants africains. Peu acceptent d’être cités, mais ils parlent de condescendance , de paternalisme, voire d’attitude néo-coloniale.
Faisant allusion à une évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur, réalisée au Congo, il y a deux ans et qui l’estimait "au rabais", Matundo Lelo, chargé par les universités congolaises de coordonner leur coopération avec leurs homologues belges, estime que "tout cela est subjectif" "Il y a, dit-il, des écoles privées libres et confessionnelles qui fonctionnent très bien". Le fait est là : pour un étudiant africain qui souhaite poursuivre des études en Europe, un diplôme n’est qu’un bagage très léger. Les récents efforts réalisés par certaines universités, comme au Cameroun, permettront peut-être de changer la donne.
A l’Université de Louvain-la-Neuve, qui inscrit environ 800 étudiants africains par année académique pour plusieurs milliers de demandes, le vice-recteur explique que "quand il s’agit d’examiner la qualité d’un diplôme, nos facultés se basent sur une connaissance ponctuelle de ces universités, suite à des contacts antérieurs. Par exemple, par des enseignants de chez nous qui y ont collaboré, comme c’est le cas notamment à Bukavu depuis dix ans. C’est donc presque une appréciation au cas par cas". En France aussi. Le dossier de chaque étudiant passe devant une commission pédagogique constituée d’enseignants , qui évalue son niveau et décide du cursus qu’il peut suivre. Le site du ministère de l’Education nationale précise d’ailleurs qu’un "diplôme peut être validé par un établissement et ne pas l’être par un autre".
Reste ensuite à remplir les exigences afin d’obtenir le visa pour venir étudier en Europe. Elles sont de plus en plus draconiennes. En France, il est désormais nécessaire, en l’absence de bourse, de déposer plusieurs milliers d’euros sur un compte avant même d’avoir mis un pied dans le pays. Cela pour s’assurer que l’étudiant aura de quoi y vivre. Un obstacle de plus…

Parcours du combattant

Même lorsqu’il est accepté , l’étudiant étranger n’est pas au bout de son parcours du combattant. Il devra souvent recommencer certaines années d’études déjà effectuées. Dans une Haute école bruxelloise, le responsable des dossiers d’inscription précise être "souvent obligé de les faire descendre d’un, deux voire trois ans". A l’UCL aussi, des cours de mise à niveau sont souvent imposés. "Les étudiants ont du mal à l’accepter, précise Nathalie Van Droogenbroek; pourtant, nous nous basons sur une étude fouillée de leurs cours antérieurs. Mais dans le doute, nous préférons ne pas prendre de risque, au profit de l’étudiant".
Enfin, l’étudiant africain qui termine ses études en Europe n’a pas pour autant accès au marché du travail. Il faut pour cela qu’il ait réalisé tout son parcours universitaire dans le pays d’accueil. Or, la tendance dans les universités est de ne les accepter qu’à partir du 3e cycle. Pour autant, ils sont encore très nombreux à préférer rester en Europe en effectuant des travaux pour lesquels ils sont surqualifiés plutôt que de faire profiter leur pays de leurs compétences…

Par André LINARD (SYFIA)

ECADRE n°1

Au Cameroun,
des diplômes
plus propres

La fraude et la tricherie souvent opérées par les étudiants avec la complicité de certains enseignants s’essoufflent progressivement dans les universités d’Etat. Pour le professeur Félix Nicodème Bikoï, doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines à l’Université de Douala (FLSH), la communauté universitaire a pris des mesures dissuasives et répressives pour éradiquer ou limiter le fléau. Désormais, les copies des étudiants sont corrigées simultanément par deux enseignants afin d’éviter l’attribution de notes arbitraires.
Dans les facultés des sciences juridiques et politiques, où les effectifs sont pléthoriques, le système de correction en salle est appliqué. "Après évaluation des étudiants, les enseignants de la filière élaborent ensemble un corrigé et l’affichent en salle de correction; ils se partagent ensuite les copies et les corrigent tous ensemble au même moment", explique le doyen de la FLSH.
Des étudiants ingénieux reussissent malgré toutes ces dispositions à fausser le jeu. Par le passé, certains se faisaient attribuer des notes fantaisistes moyennant de l’argent par des agents chargés d’introduire les notes dans les ordinateurs. Au courant de cette pratique, les autorités universitaires ont institué des séances de délibération sous la supervision des jurys créés pour la circonstance. "Chaque enseignant vérifie si les notes attribuées à chaque étudiant sont bel et bien celles qui avaient été portées sur sa feuille de composition", explique le professeur Bikoï.
Des sanctions sont prévues pour les étudiants et enseignants reconnus fraudeurs ou complices. A ce jour, aucun enseignant de l’enseignement supérieur n’a été épinglé. En revanche, des étudiants fraudeurs sont régulièrement sanctionnés. En novembre, le ministre de l’Enseignement supérieur en a exclu quatre de toutes les institutions universitaires.

Charles NFORGANG

ECADRE N°2

Les Etats-Unis, destination de plus
en plus prisée

En 2002, la moitié des 180 400 étudiants étrangers en France étaient des Africains, dont 70 000 d’Afrique subsaharienne. Ces chiffres ne prennent pas en compte ceux qui sont inscrits dans les établissements privés. Cette même année, 11 000 bourses ont été délivrées à des étudiants africains par les postes diplomatiques, essentiellement pour des troisièmes cycles.
Dix ans auparavant, ils n’étaient que 47 000 à faire leurs études dans l’Hexagone mais cette hausse cache cependant une désaffection progressive des étudiants africains pour la France. En effet, quelque 33 000 étudiants sont en 2002 partis faire leurs études aux Etats-Unis, destination pratiquement inconnue il y a 10 ou 15 ans. Chaque année, le nombre des africains étudiant dans ce pays croit de plus de 10%.
Dans les autres pays européens, les étudiants africains restent peu nombreux. Près de 6 000 Camerounais étudient cependant en Allemagne, ainsi que des Nigérians et des Ghanéens. L’Angleterre n’attire que 9000 étudiants africains, essentiellement des pays anglophones.

M-AL
Quotidien Burkinabé Le pays N°3283 du 29/12/2004

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