NUCLÉAIRE – Tchernobyl, la malédiction persiste

NUCLÉAIRE Malgré les polémiques scientifiques, les habitants des zones contaminées apprennent à vivre avec la radioactivité et se cherchent un avenir
Tchernobyl, la malédiction persiste
Après une rencontre avec le chercheur biélorusse Youri Bandajevsky (nos éditions d’hier), condamné à huit ans de prison parce que ses travaux controversés sur les retombées sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl dérangeaient les autorités, Le Figaro publie un reportage dans les territoires contaminés où le temps fait son oeuvre, mais n’efface pas la malédiction.
Tchernobyl (Ukraine), Gomel (Biélorussie) : de notre envoyé spécial Yves Miserey
[13 octobre 2004]
Source : http://www.lefigaro.fr/

«C’est la première fois que je viens à Tchernobyl», confie timidement Nina Filiponenko, notre interprète ukrainienne. Elle a la quarantaine et habite Kiev, la capitale. Comme tout le monde, elle a encore à l’esprit les images du réacteur éventré, de la construction du sarcophage par les «liquidateurs». Elle est sidérée de se retrouver là.

L’automne est magnifique et le sarcophage de béton qui recouvre le réacteur n° 4 a l’air d’un immense silo à grain. «Je suis déçue et rassurée. Je n’ai pas vu le monstre que je m’attendais à voir. Les personnes qui travaillent sur place n’ont pas l’air stressées», constate Nina avec étonnement. Même si la contamination aérienne diminue au fil des années, elle reste néanmoins importante. Le capteur situé dans le bâtiment qui borde le sarcophage affiche des chiffres cent fois supérieurs à ceux que l’on trouve à Kiev. Le personnel qui travaille ici est logé hors de la zone d’exclusion. Les déplacements sont assurés en chemin de fer. Personne ne reste plus de quinze jours sur le chantier.

Le temps a fait son oeuvre. Même la ville fantôme de Pripiat toute proche n’a plus grand-chose d’apocalyptique. Les bouleaux et les saules ont presque tout envahi. Deux jours après l’explosion survenue le 26 avril 1986, la ville nouvellement construite avait été évacuée dans la hâte par les autorités soviétiques. Ces dernières n’avaient alors qu’une seule préoccupation : minimiser l’ampleur de la catastrophe. On s’accorde aujourd’hui à dire que les irradiations ont fait 31 victimes directes. Mais, selon l’OMS, 800 000 personnes ont participé aux opérations de sûreté, le plus souvent sans équipements de protection efficace. Nombre d’entre elles n’ont jamais été recensées et se sont dispersées aux quatre coins de l’ex-empire soviétique. Les chiffres sur les cancers induits sont donc lacunaires.

Après ce passage obligé à Tchernobyl, cap vers la Biélorussie. Dans les jours qui ont suivi l’explosion, c’est là que les vents du sud ont charrié les poussières radioactives. Une malédiction pour ce pays dont 20% du territoire a été contaminé. Un territoire grand comme la Suisse (48 000 km2) où vivent près de 1,5 million de personnes dont 450 000 enfants.

Le passage à la frontière est interminable car les relations entre les deux pays sont au plus mal. Il faut changer de minibus. L’attente durera trois heures sur une petite route perdue au beau milieu de la zone d’exclusion. Le cadre est enchanteur. Depuis dix-huit ans, aucune activité agricole n’est autorisée. Le vent et le soleil caressent les longues herbes argentées. On voit dans le lointain des bouquets d’arbres et des petits étangs. Le silence est total. Là aussi, la contamination a diminué. Mais le danger d’irradiation est bien réel. On recense 800 fosses où ont été enterrés des déchets contaminés. Or elles ne sont pas balisées tout comme les «poussières chaudes», des fragments invisibles de plutonium qu’il faut éviter à tout prix.

Avant le 26 avril 1986, le district de Bragin qui borde la frontière ukrainienne comptait 38 560 habitants. Trois jours plus tard, cinquante-quatre villages ont été abandonnés, 13 784 habitants déplacés, 6 200 personnes avaient déjà fui la région sans attendre la décision de l’administration. «Aujourd’hui, le district ne compte plus que 16 900 habitants», constate le maire de Komarin qui nous accueille dans l’école. Le district est rural et pauvre. La majorité des gens vivent en autarcie. La commercialisation des produits locaux est embryonnaire. «Quelle entreprise songerait à investir chez nous ?», ironise Alexandre Iatchenko, le préfet.

Les taux de contamination aérienne diminue avec le temps, mais les mesures anthropogammamétriques effectuées deux fois par an dans les écoles montrent toutefois que les enfants des familles les plus déshéritées ont souvent des taux très élevés. Il leur arrive fréquemment de se nourrir de champignons, de gibier, de baies ou de lait de vache, les quatre aliments les plus «sensibles».

Le programme international Core (Coopération pour la réhabilitation) cible son action avec Médecins du monde sur les femmes enceintes et les jeunes mères pour inculquer une culture radiologique à la population. Les responsables sanitaires savent très bien qu’un aliment présentant des taux élevés de contamination risque finalement d’être consommé.

Il existe toute une série de contre-mesures. On peut, par exemple, décontaminer la viande en la faisant tremper dans l’eau salée et en la faisant bouillir deux fois. Pour tout ce qui touche à l’agriculture, on sait que certaines variétés de pommes de terre absorbent moins de césium que d’autres. Au fil des années, ce radionucléide que le réacteur a libéré en grande quantité a tendance à descendre dans les sols. L’épandage de chaux et de potasse permet de freiner son absorption par les plantes. Le programme Core essaie de mettre en place un système de microcrédit pour favoriser ces pratiques mais se heurte pour l’instant à l’opposition des banques biélorusses.

Rompant avec l’aide humanitaire traditionnelle, le programme Core qui a débuté au printemps 2004 veut favoriser les initiatives locales. Le problème de ces régions n’est pas seulement sanitaire, il est aussi économique. Les régions contaminées portent des stigmates invisibles que personne n’est encore parvenu à effacer. La tâche paraît immense pour cette «fédération de bonnes intentions». «J’espère que vous reviendrez dans les zones contaminées, explique Zoé Trafimchick, la coordinatrice du programme Core. C’est très important. Même les Biélorusses des zones propres ont peur d’y aller.»

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