Où va le livre en Afrique ? Edition concentrée, Culture répr

Où va le livre en Afrique ? Edition concentrée, Culture réprimée, Développement étouffé
Source : http://www.afrikara.com/
En Afrique, 90 % en moyenne des livres en vente sont importés des pays du Nord. A l’avenir, le défi à relever pour les éditeurs d’Afrique, est de produire localement ces 90 %. La situation de l’Afrique du Sud et de l’Est est plus encourageante, même si celle-ci n’est pas encore satisfaisante*.

Dans les pays africains, le livre existe, les auteurs existent même si certains sont partis, les éditeurs existent, les imprimeurs existent, les lecteurs existent, la richesse existe, la pauvreté existe et l’argent aussi existe. Oui, il y a de l’argent pour fabriquer les livres, les diffuser et les distribuer. Et, il y a aussi de l’argent pour les acheter. Mais ce livre africain n’est pas édité en Afrique, il est édité dans les pays « développés », les pays occidentaux. Les élèves africains étudient dans une langue qui n’est généralement pas la langue de leur mère. Où sont dans les éditions 2003 du Petit Larousse et du Petit Robert 2 les grandes figures africaines ? On y cherchera en vain Thomas Sankara ou Sylvanus Olympio pour y trouver Omar Bongo ou Félix Houphouët-Boigny…

Comment expliquer qu’après plus de 40 ans de coopération de toutes sortes, l’édition africaine soit dans un état aussi fébrile ? Et pourtant, elle est vivace et féconde : en l’espace de cinq ans, les éditeurs ont produit quelque 1 200 titres disponibles.

La vie du livre en Afrique est un combat long et difficile. Le marché du livre scolaire est dans les mains des maisons d’édition des pays du Nord. En Afrique de l’Ouest et Centrale, deux groupes, Hachette et EDITIS (Vivendi Universal Publishing), se partagent royalement « la part du lion » (plus de 32 millions d’euros en 2002 dans les seules déclarations d’exportation de livres des douanes françaises). Les Etats africains éditent en lieu et place des éditeurs et mangent les miettes laissées par les multinationales, suivis de très loin par deux éditeurs québécois qui mangent les miettes des miettes, Hurtubise HMH et Beauchemin. Cependant, depuis quelques années, des éditeurs africains éditent enfin des livres scolaires pour les classes de premier cycle (cf. Le livre scolaire).

Complicités conscientes ou non, néocolonianismes de la langue, idéologiques et commerciaux, les bailleurs de fonds foncent tête baissée dans ce jeu « de qui gagne-gagne » avec les complicités conscientes ou non des gouvernants africains et des opérateurs de programme d’aide au développement. Grands et petits programmes d’aide envoient des containers emplis de tonnes de livres donnés et/ou achetés. Les coûts de transport du Nord vers le Sud, même subventionnés, sont considérables.

Il est urgent de créer dans le secteur du livre un organisme de contrôle, indépendant de ces programmes.

Pourquoi ne pas avoir aidé les éditeurs africains à éditer au lieu de privilégier l’exportation massive, écrasant ainsi toute velléité privée ? Comment les gouvernements africains ont-ils participé à l’absence du développement plus rapide d’une édition locale ?

Comment sont traités les auteurs de la diaspora africaine par les éditeurs du Nord ? L’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana nous raconte une histoire de livre qui explique où ils en sont, eux, les auteurs, avec les maisons d’édition françaises. Les auteurs des pays d’Afrique éditent au Nord puis voient leurs livres exportés et vendus au prix fort en Afrique. Certains s’en moquent, revendiquant leur être supérieur et reconnu par nos grands noms de l’édition parisienne, allant jusqu’à mépriser les lecteurs africains, d’autres continuent à éditer dans leur pays d’origine ou encore commencent à se battre pour éditer au Sud. Les éditeurs des pays du Nord les font tant rêver qu’ils les entraînent à signer des contrats leur interdisant d’éditer ailleurs.

Combien de livres produits sur place pourrait acheter un lecteur africain avec le prix d’un livre importé (de 2 à 4 fois plus cher qu’un livre produit localement) ?

Certaines taxes sont supprimées. Celles qui donneraient aux éditeurs la capacité de produire sur place comme le papier et les intrants ? Non, on supprime celles sur les livres importés et dans certains pays la taxe intérieure (TVA ou équivalent). La libre circulation des biens culturels va-t-elle toujours aller dans le sens Nord-Sud ?

De nouvelles règles sont nécessaires pour favoriser enfin un “développement endogène et autosuffisant” dans un espace régional et/ou continental du livre dans les pays d’Afrique. Et si les coéditions solidaires (cf. le chapitre Alternatives solidaires) et les coéditions Sud-Sud, prenaient le pas sur les importations ? Et si l’Afrique travaillait avec l’Afrique ? Et si le livre en Afrique devenait africain ?

Lecture conseillée : Africultures N°57 décembre 2003, Où va le livre en Afrique ?

Cet article est un extrait de : Le livre, l’art, la nature et l’homme : existe-il un bien comparable au livre ? Isabelle Bourgueil, Africultures N°57 décembre 2003, Où va le livre en Afrique

Le titre de cet extrait est une référence de l’auteur à l’ouvrage de Jean-Yves Mollier Où va le livre ?, La Dispute, 2002. Cet ouvrage dresse le portrait de la France du livre et des médias, dénonce les dangers de la concentration dans le secteur du livre, attire l’attention sur la disparition des moyennes maisons d’éditions, donne des chemins de traverse à explorer, remet en questions un système qui transforme nos cultures en marchandises…

*. Cf. (disponible en français et en anglais) : Pour le développement du commerce du livre à travers l’Afrique : étude des obstacles actuels et du potentiel futur, Ruth Makotsi avec Flora Musonda, APNET, ADEA (Association pour le développement de l’Education en Afrique, groupe de travail sur les livres et le matériel éducatif), 2002.

Isabelle Bourgueil

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