Paris – Bons coins pour faire les affaires

Vibrations africaines au coeur de l’Europe : Chateau rouge vitrine d’Afrique
Fraternité Matin 27 janvier 2004

Situé à Paris entre les stations de métro Marcadet-poissionnières et Barbès Rochechouart, Château Rouge est célèbre par son " hypermarché" à ciel ouvert où pullulent par milliers des africains mais également des européens fous de la cuisine tropicale.
Du textile à l’alimentation Château Rouge ne recule devant rien pour satisfaire la communauté africaine de l’Ile en France, autrement dit Paris et sa banlieue.

C’est en 1985 que le marché de Château Rouge va naître avec l’apparition – Rue Poissonnière – d’un seul et unique magasin de vente de produits alimentaires tropicaux perdu dans un lot de commerce de bois, de pagnes et de matériaux de construction. Tenu par un chinois, le magasin de produits alimentaires prospère car la clientèle essentiellement constituée d’immigrés noirs reste foncièrement attachée à sa culture notamment la cuisine du pays. Mais les vitrines du petit local n’offrent pas aux africains de plus en plus exigeants une variété d’ingrédients nécessaires à la cuisine de mets spéciaux.

En dehors de l’attiéké desséché par la durée du voyage mais également par les aléas climatiques, des aubergines méconnaissables, du poisson faisandé recouvert d’huile pour donner chez ce commerçant asiatique. Devant ce manque à gagner qui dure trois années, des femmes africaines vont s’installer à leur tour pour combler le vide. En 1989, le marché de Château Rouge compte dans ses rangs de nombreux magasins, de vivres encore tenus par des asiatiques. Le plus achalandé de ceux-ci Magasins d’Afrique propose une plus grande variété de produits seulement voilà, tout s’achète au kilo, ce qui n’arrange guère les immigrés habitués qu’ils sont à acheter en petite quantité et à prix négociables.

C’est en 1992 que les choses vont s’arranger pour eux avec l’arrivée de " Gomon" une ivoirienne native de la ville de Gomon près de Sikensi. De son vrai nom Okon Delphine, cette vaillante femme – dont le patronyme secret- se fait rebaptiser Gomon, sa ville natale par la communauté ivoirienne.

Delphine ouvre son magasin sur la rue Deauville non de la Rue Poissonnière. Et se démarque progressivement des autres par son sérieux, la régularité de ses arrivages et la fraîcheur de ses produits. Mais aux dires de ses nombreux clients, la veille dame est chère !

Chez Gomon en effet le kilogramme de semoule de maïs (kabato) et d’attiéké coûtent respectivement 4, 20 Euros soit 2800 et 3000 F cfa. Ceci ne l’empêche de faire d’énormes bénéfices dans la mesure où ses produits restent d’une fraîcheur incontestable avec en sus une traçabilité nette. " Les chinois sont chers mais au bout de quelques jours toutes vos courses se retrouvent à la poubelles" confie une dame venue faire son marché de la semaine. Une jeune Malienne née Anyama nous dira "grand-frère, la vieille-mère est un peu chère mais avec elle au nom de Dieu çà ment pas ! quand tu invites des amis à manger toi même tu es contente !" Gentille et accueillante, les clientes (ivoiriennes dans leur grande majorité) font la queue dans magasin en lui lançant des " bonjour tantie Gomon !" auxquels elle répond invariablement "Ma fille ça va ? " Chez la bonne dame on trouve de tout : Dans la gamme des produits vivriers, l’on trouve du placali, du gombo frais, du djoumblé, de l’apki, des feuilles fraîches de kplala, des escargots, toute sorte de gibier, du gnangnan, des crabes de mer et d’eau douce, du kplé, du piment frais ou en poudre, des cubes maggi, de la bière locale, de la graine de palmier également noter la gamme des ustensiles de cuisine et la pharmacopée traditionnelle : ceci va du mortier et son pilon aux taliés en passant par les produits éclaircissants et les plantes médicinales en sont oubliées. Celles qui prétendent tordre le cou à toutes les maladies tropicales dont les redoutables " bobodouman", et autres " kôkô".

Bref chez madame Okon Delphine, c’est la Côte d’Ivoire transposée en Hexagone vu que tout ce qu’elle vend vient exclusivement du pays. Un autre secret de sa longévité reste que pour les crédits repassez jamais.

Au fur et à mesure que ses affaires prospèrent, cette ivoirienne qui fuit la presse comme la peste ajoute une autre corde à son arc. Ainsi, depuis quelques années, elle s’implique avec succès dans le marché de gros, fournissant une grande partie de petits magasins disséminés dans le Tout-Paris et même au delà. Ceux-là seulement ont droit à des facilités de paiements puisqu’étant dans le commerce, ils ont de quoi payer un jour où l’autre.

Aujourd’hui " Gomon" est de plus en plus rare dans son magasin qu’elle a d’ailleurs confié à ses filles, préférant développer d’autres secteurs encore plus porteurs. Le succès de cette ivoirienne de 53 ans mère de deux enfants favorise l’arrivée de plusieurs autres ivoiriennes aux étals moins achalandés.

A Château Rouge aujourd’hui, toutes les ingrédients de cuisine sont représentés. Les camerounais et les congolais ne bouchent pas leurs chikuang et autres muondô – une pâte de manioc caoutchouteuse qu’accompagnent, disent-ils, le poisson grillé ou la viande de chèvre épicée à mort. Comme on le voit les casiers de bière eux aussi ne sont pas très loin dans ces cas-là. Cela dit l’Afrique centrale regorge de produits alimentaires forts intéressants tels que la Sole camerounaise très prisée dans les restaurants et le saka-saka du Congo ( une sauce cuisinée avec des feuilles de manioc)

L’axe Togo-Bénin-Nigéria n’est pas oublié. Qui propose à ses ressortissants des denrées essentiellement composées de feuilles, de semoules et d’arômes spéciaux. Quant au grand mandingue, son poison séché communément appelé konkwé ( venu de Guinée), son soumbârâ, ses déclinaisons de Kabato allant du blanc au rouge en passant par le jaune, ses aubergines charnues, son tiga-dêguê, son gingembre, ses céréales, son yate ( sorte de mollusque faisandé), son thioff ( tranche de mérou) et ses arômes nécessaires au célèbre Tchepou djeune attirent toutes les fins de semaine une horde de femmes guinéennes, maliennes, nigériennes et sénégalaises dont le froufrou des bazins et le cliquets de bijoux reste un tableau impressionnant. IL faut les voir et les entendre faire leurs salamalecs à haute voix et en langues maternelles s’il vous plaît ! Les commerçants Mandingues sont également les représentants du célèbre pagne Wax hollandais qu’ils vendent par dizaines de ballots aux différentes communautés africaines pour qui le pagne est tout un symbole.

Le Maghreeb qui au commencement était spécialisé dans la vente des pagnes s’est reconverti dans l’alimentation. Avec ses boucliers halal également tout le long du Boulevard Barbè où toute tentative de garer son véhicule pour aller faire ses emplettes est voué à l’échec.

Si le marché de Château Rouge connaît un succès indiscutable, il procure en même temps aux africains qui s’y rendent au moins une fois dans la semaine quelques inquiétudes voire des angoisses au nombres desquelles les tracasseries policières, les pickpockets, les prostitués et les drogués qui écument la rue poissonnière avec leurs regards hagards et à la fois menaçants.

M. L – Fraternité Matin (Abidjan)

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *