Plus qu’une éducation, une éducation de qualité

L’année dernière, j’ai commis un article sur l’importance de l’éducation dans la région du Sud Soudan et j’ai promis de rédiger une deuxième partie. Seulement, je n’ai pas pu le faire assez rapidement à cause de mes nombreuses occupations et des nouvelles préoccupations qui venaient sans cesse obscurcir les anciennes dans mon esprit. Maintenant que le Dr John Akech a relancé le débat, en revenant sur l’importance de l’éducation dans son article intitulé « Pourquoi les Soudanais s’intéressent encore à l’enseignement supérieur ? », publié le 14 février 2009 par le Sudan Tribune, je peux désormais rédigé mon article, très attendu, sur l’importance d’une éducation de qualité dans le Sud Soudan. Le Dr Akech a déjà fait le tour de plusieurs questions que je comptais aborder dans mon article. Ma publication sera donc une contribution à ses idées.

Lors de mes études de licence en Lettres et Education à l’Université internationale de Kampala (KIU) en Uganda, j’étais préoccupé par la dégradation des standards de l’éducation dans l’Est de l’Afrique. En effet, l’Université de Makerere a été l’une des meilleures institutions de l’Afrique, mais elle perdu de sa qualité à cause des effectifs pléthoriques. A l’Université, j’étudiais la Littérature et la langue anglaise et pendant notre cours de littérature, nous nous disions généralement à quel point il est étrange que des diplômés en littérature, à notre époque, ne parviennent même pas à écrire un seul livre. Nous nous sommes rendus compte que l’éducation en Afrique était axée sur l’évaluation, ce qui poussait les étudiants à se bourrer le cerveau de notes de cours, au lieu de s’instruire au travers de ces notes.

En 2004, mon ami Muhindo de la République démocratique du Congo (diplômé en informatique) et moi-même avons fondé ce que nous avons d’abord appelé le « Club du débat philosophique », rebaptisé ensuite « Nouvelle alliance des étudiants des universités africaines pour le club du débat philosophique » (RAAUS Outlook Philosophical Discussion Club). Notre objectif était de faire de ce club un cadre de discussion entre étudiants et enseignants sur les préoccupations de la vie en général, y compris sur les questions politiques et religieuses. Parvenu à maturité, le club invitait des professeurs de renom provenant de tous les coins de l’Uganda, surtout lorsque nous pouvions facilement les joindre. Une fois, nous avons reçu le directeur des admissions de KIU de l’époque. Très controversé, il enseignait le Service et de l’Administration sociales au KIU. Nous l’avons interrogé sur la dégradation de la qualité de l’éducation en Uganda et je lui ai demandé s’il fallait chercher les raisons de cette détérioration dans le faite que les écoles accordent beaucoup d’attention aux résultats des évaluations et fournissent peu d’effort pour aider les étudiants à comprendre les contenus d’enseignement. Il a répondu que l’échec de l’éducation provient de l’incapacité à trouver des méthodes incitatives pour motiver les étudiants à étudier. Les examens sont donc devenues les seuls outils dont disposaient les écoles pour forcer les étudiants à lire.

Lorsque je suis venu poursuivre mes études de deuxième cycle aux Etats-Unis, où l’on retrouve les meilleures universités du monde, je me suis rendu compte qu’ici également, l’accent était mis sur les examens et les performances. Autrement dit, les universités africaines ne sont pas différentes de celles de l’occident en ce qui concerne les évaluations. J’ai donc été amené à me poser plusieurs questions, notamment sur l’origine des défaillances de notre système éducatif.

Lorsque vous posez une telle question en Afrique, certaines personnes l’écartent en prétextant des fraudes dans le classement des universités du monde, effectué, pour cause, par les occidentaux, qui font la part belle à leurs institutions afin d’y attirer les étudiants du monde. Même si cet argument contient une part de vérité, elle ne représente que quarante pour cent de la réalité. Les soixante autre raisons prouvent en effet que les universités occidentales sont meilleures que celles de l’Afrique, et pour cause. La majorité des universités des pays de l’Ouest sont des centaines d’années plus vieilles que les universités africaines. Disons que cette raison est insuffisante parce que nous avons aussi de très vieilles institutions comme l’Université de Karaouine au Maroc, que le Dr Akech a d’ailleurs mentionné dans son article ; cependant, elles ne sont pas prépondérantes. L’argument indiscutable est que la majorité des universités de premier rang dans les pays de l’Ouest sont prospères. L’Université d’Harvard, par exemple, a été fondée le 8 septembre 1636 et gère à ce jour un budget de 28,8 milliards de dollars. Comment font ces universités pour avoir de l’argent ? C’est à ce niveau que nul ne peut ignorer le pouvoir de compétition des universités occidentales. En effet, la concurrence qui permet d’attirer les étudiants ne repose pas seulement sur le nom de l’université, elle dépend également de l’efficacité des diplômés des différentes universités dans la vie réelle. La qualité réside donc dans les capacités et non dans le type de diplôme obtenu.

Le Dr Akech a également mentionné le facteur important que représente l’insuffisance du financement accordé aux universités africaines par leurs gouvernements. A l’évidence, lorsqu’une université manque de financement, elle cesse d’être une institution de recherche et devient une institution d’enseignement, situation qui rabaisse son standard.

Pourtant, les universités de tête en occident relèvent du secteur privé. Harvard et Yale, par exemple, ont été fondées par des puritains. Le Rev. John Harvard, fondateur de l’Université d’Harvard a consacré sa bibliothèque personnelle à l’école, qui s’appelait alors « New College ». Aujourd’hui la bibliothèque d’Harvard est la deuxième plus grande bibliothèque des Etats-Unis après celle du Congrès américain. L’Université Columbia a été fondée par l’Eglise d’Angleterre. Celle de Princeton appartient à l’Eglise Presbyterienne. L’Institut de technologie du Massachussetts et l’Université Standford sont la propriété de William Barton et Leland Standford respectivement. Ceux sont là les premières universités du monde et elles sont toutes privées. Mais alors, comment obtiennent-elle le financement nécessaire pour la recherche ? Le gouvernement apporte certes sa contribution, mais elle n’est pas considérable. C’est dire que nous n’avons aucune excuse de ne pas faire de nos universités des institutions de recherche, car la recherche est l’âme des universités.

Ici en Amérique, une université peut perdre sa licence si elle n’apporte aucune contribution à sa communauté. Elle peut également se voir retirer cette licence, si elle ne fait pas de contribution au monde académique. Autrement dit, les professeurs d’une université sont tenus de faire des publications chaque année, s’ils veulent continuer d’y enseigner. De même, peu importe que la recherche soit financée ou pas, elle est une obligation. Les grands projets de recherche sont financés soit par l’université, soit par le gouvernement. Cependant, l’université doit montrer en premier sont aptitude à produire une recherche de qualité afin de mériter le financement du gouvernement ou de philanthropes. Cela signifie que l’université ne croise pas les bras et attend l’argent qui servira à la recherche, au contraire, elle s’investit dans la recherche afin de trouver des financements.

Les étudiants, eux aussi, doivent contribuer à plusieurs égards, à la vie de leur communauté. Ils doivent être investis de tâches communautaires, comme c’est le cas ici en occident, afin de leur permettre d’identifier les problèmes de sociétés et les moyens de les résoudre. C’est à ce niveau que l’éducation axée sur les performances trouve son importance pour la communauté et pour les étudiants. Ici, aux Etat-Unis, une mention « très bien » est indubitablement le fruit d’un travail acharné de la part des étudiants. Par conséquent, la récitation des cours n’aide pas beaucoup. L’accent est surtout mis sur la combinaison de la pratique avec des lectures approfondies. A priori, il n’y a pas de raison que les livres recommandés aux étudiants par leurs enseignants ne se trouvent pas à la bibliothèque. Vous devez les trouver et les lire à des moments précis. Manquer de le faire en temps opportun annule toute chance de sortir de l’université.

Les étudiants de deuxième et troisième cycles sont impliqués dans l’appréciation des besoins, l’évaluation des programmes et plusieurs autres activités communautaires et travaux de recherche ici aux Etats-Unis. C’est un moyen pour les universités d’Amérique et d’autres pays de l’Ouest de contribuer à la vie des communautés qui les entourent.

En Afrique, les étudiants vont au cours pour écouter un enseignant qui joue le rôle de prédicateur, parce que les salles sont trop pleines pour des discussions. De plus, après le cours, les étudiants lisent très peu. Ce n’est qu’à l’approche des examens qu’ils récitent leurs notes de cours pour espérer réussir. Ainsi, à la sortie de l’université, lorsqu’ils sont confrontés aux réalités de la vie, les théories apprises en faculté ne coïncident pas avec le monde du travail. Par conséquent, les étudiants restent peu performants sur le terrain et ne parviennent à s’améliorer qu’après de nombreuses années. C’est pourquoi les universités africaines peinent à se mettre sur un pied d’égalité avec les meilleures universités du monde. C’est dire que la survie dans le monde du travail est plus tributaire des compétences opérationnelles des diplômés, que de leur succès académique. Si l’intelligence ne peut pas être mise au service de situations réelles, c’est qu’elle est incapable de contribuer à l’efficacité d’une compagnie ou d’une institution gouvernementale. En un mot, c’est qu’elle est inutile.

L’état de délabrement de l’éducation dans le Sud Soudan est d’autant préoccupante que l’Université de Juba, classée parmi les 100 premières universités d’Afrique a carrément disparu de la liste aujourd’hui. Si rien n’est fait pour rehausser la qualité de l’éducation dans cette région de l’Afrique, nous risquons très bientôt de nous retrouver avec des bureaux administratifs et des sociétés pleines de diplômés incapables de résoudre le moindre problème. Cela signifiera alors la mort de notre système. Le ministère de l’Education a de bonne chance de faire de notre système éducatif l’un des meilleurs de l’Afrique, car il est jeune et donc facilement maniable. Pour ce faire, le ministère a juste besoin d’excellents planificateurs, capables de mettre sur pied, de manière définitive, un système éducatif de qualité. Il est préférable de compter peut de diplômés capables de surmonter les obstacles de la vie réelle, plutôt que d’en avoir des millions qui laisseront le système s’effondrer sous leurs propres yeux. En outre, Le ministère de l’Education devrait davantage s’intéresser à l’apport des diplômés et des professeurs d’université à nos communautés, qu’à leurs performances déphasées par rapport aux situations de la vie courante. Par-dessus tout, les professeurs et les étudiants doivent savoir que la recherche est pour eux une obligation, pas un choix.

Zecharia Manyok Biar
L’auteur de cet article est un diplômé de l’Université Abilene Christian, Texas, Etats-Unis. Vous pouvez le contacter à [email protected]

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