40% du budget national dans l’éducation et pourtant le secteur s’engouffre davantage dans une crise
par SUDONLINE.SN , dimanche 4 janvier 2009
Le constat d’un paradoxe ! Tel est le sentiment de beaucoup de sénégalais et d’étrangers qui s’intéressent sur la politique du pays en matière d’éducation. En effet, près de la moitié du budget national va dans ce secteur. Pourtant, élèves, parents d’élèves, étudiants, enseignants (du préscolaire à l’université), personnels de techniques et de services travaillant dans les universités et les centres de formation, syndicalistes … partagent unanimement un sentiment de mécontentement. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple des multiples grèves et mouvements de protestations qui gangrènent ce domaine et dont les causes sont souvent (d’une manière consciente ou inconsciente) d’ordre pécuniaire. Entre l’élève qui réclame qu’on affecte suffisamment d’enseignants dans son établissement et qu’on lui dote convenablement en matériels didactiques, l’étudiant qui demande le paiement de sa bourse et l’amélioration de ses conditions de vie au niveau des campus social et pédagogique, l’agent de technique et de service qui exige une reconsidération de son statut et l’enseignant qui lutte pour des indemnités de recherche ; la question de l’argent reste transversale dans tous les mouvement.
L’augmentation du budget alloué à l’éducation- et tant chanté par le gouvernement comme le seul investissement qui vaille la peine d’être mené afin de relever le défi du développement- n’a pas porté ses fruits. L’école et l’université baignent encore dans une crise dont les manifestations et les grèves n’en constituent que l’expression. Mais, le fondement se trouve fortement être lié à la cherté du coût de la vie. Par exemple, ce qu’un gain mensuel de 75000fca permettait de réaliser quelques années auparavant, aujourd’hui avec une rémunération de 125000fca on y arrivera que laborieusement. On comprend aussi difficilement que des parents confrontés à des problèmes de survie puissent s’occuper convenablement du coût de l’éducation de leurs enfants. Cette situation d’incertitude va exacerber les frustrations et les colères de part et d’autre.
En plus, même s’il faut admettre que l’Etat a consenti beaucoup d’efforts pour augmenter les bourses des étudiants en nombre et en taux, cela n’a pas suffi pour diminuer les revendications. En effet, cette catégorie bien que logeant (du moins pour certains) dans les campus, n’est pas coupée de la société globale. Lorsque l’étudiant est abandonné à lui-même – qu’il ait une bourse ou pas- il aura des problèmes pour subvenir à ses besoins. Et sachant que le vécu des parents est beaucoup plus insupportable, il abandonne progressivement le goût des études et se lance vers la recherche de l’emploi. Là, il perd doublement. Premièrement, il ne pourra pas réussir dans ses études car pour y arriver il faut s’armer de courage et d’abnégation. Mais aussi, pour bien apprendre il faut avoir des moyens et une tranquillité d’esprit. Deuxièmement, l’emploi devient de plus en plus précaire. L’Etat ne recrute que très peu. Par exemple, l’année dernière le concours d’ENA n’a pas été organisé et au niveau du concours de la poste, il fallait recruter un seul candidat comme élève inspecteur. Le secteur privé aussi a fini par dévaloriser les diplômes et la formation universitaire en faisant la promotion des écoles issues de ce secteur. Les privés forment eux-mêmes les étudiants qu’ils vont recruter dans leurs entreprises. On note également une baisse du niveau des apprenants. Cette baisse est consubstantielle à l’augmentation du nombre de collèges et d’universités. Chose contradictoire, mais l’explication est simple.
Aujourd’hui, le nombre d’élèves qui réussissent au concours d’entrée en sixième ne cesse de croître d’année en année. Cette croissance porte aussi les germes d’une culture de la médiocrité. En effet, lorsque le passage en classe de sixième est déterminé par le nombre de places disponibles et que les collèges ne cessent de foisonner, il est facile de constater que tous ceux qui sont déclarés admis n’ont pas les capacités nécessaires pour suivre les enseignements du moyen-secondaire. Mais bizarrement, ce sont ces cohortes (avec les grèves qui menacent depuis quelques temps la validité des années académiques) qui arrivent jusqu’en classe de 3e. A cette étape où la réussite au BFEM constitue l’une des conditions pour pouvoir faire le lycée, beaucoup d’élèves échouent à l’examen. Les règles de passage sont néanmoins adoucies. Avant, pour entrer au lycée il fallait soit en plus du BFEM avoir la moyenne en classe de 3e, ou avoir au minimum une moyenne de 12 et passer sans le diplôme. Aujourd’hui, la deuxième condition est remplacée par l’obtention d’une moyenne de 10 ou plus. Par conséquent, le niveau des apprenants ne cesse de dégringoler et se traduit encore par une dévalorisation du diplôme. Ce qu’on certifié était apte à faire sur le plan éducatif il y a seulement quelques années, aujourd’hui il faudra recourir à un breveté, voire un bachelier pour l’accomplir.
En fin de compte, la crise de l’éducation formelle n’est plus à démontrer et il serait important pour l’Etat de savoir que le budget important qu’il investit dans ce secteur est entrain de produire des effets pervers.
Sileymane Sylla, doctorant en sociologie à l’Université Gaston Berger
Courriel : [email protected]