Tunisie – Quand nos jeunes ne portent plus l’école dans leur coeur

Quand nos jeunes ne portent plus l’école dans leur coeur

Il fut un temps où les élèves, depuis la maternelle jusqu’au baccalauréat avaient une fascination, voire une immense crainte de leurs enseignants. Il fût un temps où à la seule vue de son professeur, l’élève changeait de trottoir, n’osant pas croiser le regard de son maître. Il fût un temps où le maître avait un pouvoir absolu sur sa classe, ses élèves et ce sur plusieurs générations. Hélas, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient. Les enseignants se plaignent à qui veut les entendre, de classes intenables, d’élèves irresponsables et irrespectueux, aux résultats scolaires de plus en plus médiocres.

Corps enseignant, administration, parents et élèves sont, chacun, le fervent défenseur de son camp. Ce n’est jamais la faute à soi, mais à l’autre. Trop laxiste, trop irresponsable, mauvaises fréquentations ou mauvaise évaluation sont les accusations qui reviennent toujours sur la bouche des uns ou des autres. Et quels que soient le milieu social, le quartier ou les origines, tous les parents se plaignent du manque de sérieux de leur progéniture, vis-à-vis des études, de leur manque d’implication et des absences récurrentes aux cours.

Imen est professeur d’anglais dans un collège huppé de la capitale. Avant sa permutation, en ce début d’année, elle enseignait dans un collège d’un quartier populaire, une expérience très controversée, selon elle. L’année dernière, ses élèves étaient majoritairement issus de milieu modeste, et souvent de familles disloquées. Violence verbale et physique, pauvreté, divorces ou la perte de l’un des parents est le quotidien de ces jeunes. Le lycée est pour eux un lieu d’expression, une sorte d’exutoire, où ils se permettent parfois tout, sauf se consacrer aux études. «Ils sont démotivés par les études, chahutent et vont jusqu’à agresser leur professeur. Le seul moyen est de les prendre dans le sens du poil, de les écouter, et essayer de comprendre leurs préoccupations. Ce qui n’est pas toujours évident dans une classe de près de 35 élève », témoigne-t-elle. Le fait qu’elle ait changé de lycée l’a confronté à un autre type de comportement. « Cette année, dans le nouveau lycée où j’enseigne, les élèves sont plus calmes, mais pas forcément plus sérieux. Ils sont surtout préoccupés par leur apparence, les gadgets électroniques qu’ils ramènent en cours, et s’accordent le droit de protester lorsque le professeur leur donne des devoirs à faire », raconte la jeune enseignante.

Hamza est en 3ème année secondaire, soit une année le sépare du bac. Son dernier relevé de notes est «catastrophique» selon ses parents. Avec à peine huit de moyenne générale, il y a de fortes chances qu’il refasse son année. C’est à croire qu’il ressasse des problèmes familiaux ou de santé, sauf que rien de cela n’est vrai. Il est en parfaite santé, est le cadet d’une famille soudée qui lui assure tout ce dont il a besoin dans la mesure de leurs moyens. Mais à l’école, rien ne va. Il enchaîne absence sur absence, il passe ses nuits au téléphone ou sur Internet et met beaucoup de temps à se préparer le matin avant de sortir. Dès qu’il est dehors, il n’est pas sur qu’il se rende à l’école. En dépit des appels répétés de l’administration et des blâmes qu’il a reçus, Hamza refuse de se plier aux règles du lycée. Même ses parents ne savent plus comment s’y prendre. Ils ont commencé par tout lui défendre, téléphone, ordinateur et même sorties mais il ne daigne pas se remettre sérieusement aux études. Sa mère pense même que ce n’est qu’une histoire de temps et que, passé l’adolescence, il sera plus responsable. Or, avec des notes pareilles, il n’est pas sûr qu’il puisse accéder à une bonne école, ni même obtenir son baccalauréat. Ce n’est un secret pour personne que bon nombre de jeunes lycéens sèchent les cours et passent leur journée à traîner de café en café ou d’une salle de jeu à une autre. Même les bons éléments d’une classe finissent par tenter l’expérience de l’école buissonnière.

Et l’administration dans tout cela ? « L’année dernière, l’administration du lycée nous dissuadait de sanctionner les élèves, par peur de représailles sur les professeurs et le personnel du lycée. Cette année on nous dissuade de les punir parce qu’ils sont souvent «fils de». Pour éviter donc, d’avoir affaire à des parents au bras long », confie Imen. Dans ce cas, comme dans l’autre, l’élève se croit parfois tout permis. Et même l’obtention du billet d’entrée en cours est devenue très facile, avec ou sans la convocation d’un parent. Une haute responsable d’un lycée à El Menzah, confie que les parents manquent beaucoup à leur devoir d’encadreurs. Ils sont souvent pris par le travail et les soucis du quotidien et ne se rendent pas compte du fait que leurs enfants ont des difficultés au lycée. « De manière générale, quand l’élève s’absente de plus en plus, qu’il a de mauvaises notes et qu’il ne suit pas en cours, c’est que ses parents sont en instance de divorce. A chaque fois que nous essayons de les approcher et de discuter avec eux, ils finissent par nous avouer une situation familiale difficile. Une assistante sociale se charge alors de convoquer les parents et de leur en parler ». Mais, ce n’est pas assez, parce que d’un lycée à un autre, les conditions changent et les soucis ne sont pas les mêmes. « Nous prenons les élèves au cas par cas, c’est ce qu’ils attendent en effet, c’est que le professeur les sort de la masse et les valorise. C’est à ce moment là qu’ils commencent à trouver du plaisir à assister aux cours même s’ils ne sont pas brillants » ajoute-t-elle. Les parent, quant à eux, dès qu’on les met en face de leurs torts, d’être trop absents, ou trop confiants, ils favorisent la politique de l’autruche. Moins on en voit, mieux on se porte.

Chiraz Kefi
Publié le mercredi 28 janvier 2009
http://www.gnet.tn/

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