RCA – Lord’s Resistance Army: objet guerrier mal identifié

Créée en Ouganda en 1988, l'Armée de résistance du Seigneur continue de semer la terreur.

Objet guerrier mal identifié dirigé par un chef souvent décrit comme un illuminé, l’Armée de résistance du Seigneur détient le record actuel de longévité des mouvements rebelles en Afrique. En 2005, son leader Joseph Kony et ses adjoints ont aussi inauguré les premiers mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI). Mais six ans après, ils frappent toujours, tandis qu’une réunion des représentants des pays concernés (RDCRépublique Centrafricaine, Sud-Soudan, Ouganda) vient de décider, le 8 juin 2011 à Addis Abeba, de créer une Force régionale d’intervention.

Le 6 juin, le médecin-chef de la ville d’Obo, dans l’extrême est de la Centrafrique, a été assassiné avec son chauffeur. Traversant une forêt avec sa cargaison de vaccins contre la poliomyélite, leur voiture a été mitraillée puis brûlée. Il s’agit de la dernière attaque en date attribuée à l’Armée de résistance du Seigneur, connue sous le sigle anglais de LRA (Lord’s Resistance Army).

Créée en 1988 dans le nord de l’Ouganda après l’arrivée au pouvoir de Yoweri Museveni, la LRA terrorise aujourd’hui les populations civiles dans une zone comprise entre le nord de la République démocratique du Congo, l’est de la Centrafrique et le Sud-Soudan, où les Etats centraux n’ont que peu de prise.

Ainsi dans le village d’Obo, «la meilleure et la seule protection pour la population est aujourd’hui une radio communautaire sans grand moyen, Radio Zareda», témoigne Wanda Hall, directrice de l’ONG Interactive Radio for Justice. Dans cette région, seule cette station permet d’alerter sur les mouvements et les attaques de la LRA.

«Les moyens de défense sont très limités pour les villageois, l’armée centrafricaine est quasi absente et la seule possibilité d’en réchapper n’est pas de s’organiser pour se battre, mais de pouvoir fuir à temps.»

«Plus de cent attaques début 2011»

«Un appel à une ligne téléphonique d’urgence peut sauver des vies, mais uniquement si ceux qui se trouvent à l’autre bout du fil sont capables d’apporter de l’aide rapidement», relevait Anneke Van Woudenberg, chercheuse à la division Afrique de Human Rights Watch (HRW) lors de la sortie du dernier rapport sur le mouvement de Joseph Kony, le 23 mai dernier.

Selon ce document de 14 pages intitulé «Aucune fin en vue pour les meurtres et les enlèvements commis par la LRA»:

«Les forces de la LRA s’en prennent aux centres de population, matraquent les civils jusqu’à ce que mort s’ensuive et enlèvent des enfants pour étoffer leurs rangs»

Depuis le lancement de sa nouvelle campagne de violences en 2008, «la LRA a tué plus de 2.400 civils, en a enlevé 3.400 autres, dont beaucoup d’enfants, et a été à l’origine du déplacement de plus de 400.000 personnes de leur domicile», selon HRW, qui dénonce:

«Les armées nationales et les Casques bleus des Nations unies ont bien trop souvent laissé des civils terrifiés faire face seuls à la menace»

Une recrudescence confirmée par Pascal Turlan, conseiller à la coopération internationale à la CPI:

«Il y aurait à nouveau eu une grande série de meurtres et d’enlèvements dans les derniers mois, et plus de cent attaques rapportées depuis le début de 2011.»

Un groupe militairement sous-estimé

Éclatés géographiquement entre trois pays depuis qu’ils ont été chassés fin 2008 du nord de l’Ouganda, les rebelles n’en sont que plus dangereux.

«On n’a aucune idée du nombre de combattants actifs, du nombre de forces accompagnantes, c’est-à-dire les femmes et les enfants non-combattants qui sont avec eux, et ça a été une constante tout au long de sa trajectoire, décrit Sandrine Perrot, chargée de recherche au Centre d’études et de recherches internationales de Paris (Ceri).

Mais la LRA a de toute façon toujours été très mobile, elle a toujours réussi à déjouer les services de renseignement de plusieurs armées. C’est vraiment un groupe que l’on a sous-estimé militairement, qui bénéficie d’une grande expérience de terrain et dont les troupes sont constamment renouvelées à travers les enlèvements, les recrutements forcés.»

«La LRA est le groupe rebelle responsable du plus long des conflits armés actuels en Afrique», rappelle Ledio Cakaj, un des meilleurs spécialistes de l'Armée, dans une récente étude publiée en novembre 2010 par l’ONG Enough!. Les États-Unis, qui ont promulgué en mai 2010 une loi relative au désarmement de la LRA, suivie en novembre de la publication d’une «stratégie contre la LRA», se posent en fers de lance occidentaux de cette lutte. Mais leur méconnaissance de ce mouvement étonne encore le chercheur:

«Un tel manque de compréhension, depuis les débuts de la LRA, a joué un rôle significatif dans l’échec à mettre fin au conflit, écrit Ledio Cakaj. Les descriptions erronées faisant de la LRA un groupe chrétien fondamentaliste formé d’enfants drogués et dirigé par un fou ont conduit à sous-estimer gravement la force et l’habileté militaire de la LRA.»

«La peur, seule motivation pour continuer le combat»

À l’origine composée en partie d’anciens soldats déchus de l’armée ougandaise, la LRA disait se battre pour le bien des populations Acholi du nord de l’Ouganda. Seuls Kony et ses principaux commandants (ceux notamment poursuivis par la CPI, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen) revendiquent toujours cette première lutte, d’après les ex-rebelles interrogés.

Pour tous les autres, «la peur est la seule motivation pour continuer le combat de la LRA, estime Ledio Cakaj. La majorité des combattants et des commandants quitteraient l'Armée s’ils étaient convaincus que les armées et les populations du Congo, du Soudan et de la Centrafrique ne leur feraient pas de mal. Les soldats de base craignent d’être tués par leurs propres commandants s’il sont rattrapés, comme c’est arrivé dans le passé. Les jeunes officiers et ceux de rang moyen craignent les poursuites en justice et les mauvais traitements en Ouganda s’ils désertent.»

Soumis à une discipline brutale, à la lisière de la misère, menacés de nombreuses maladies, de la malnutrition, sans cesse en fuite et sur le qui-vive, les soldats de la LRA n’auraient plus, selon Cakaj, «d’autre idéologie que celle d’être l’outil personnel de la survie de Kony». Mais cet isolement pourrait être rompu si Kony parvenait à renouer, comme il cherche à le faire en ce moment, avec ses anciens soutiens à Khartoum (nord du Soudan), qui pourraient être tentés de l’utiliser pour déstabiliser le Sud-Soudan, nouvellement indépendant.

«Mais la difficulté, c’est que la LRA n’est pas le seul groupe armé de cette région large et frontalière, souligne Sandrine Perrot, du Ceri. Elle est imbriquée dans un système de conflits où plusieurs acteurs s’entremêlent et où il est difficile d’intervenir. C’est une difficulté majeure, et en dehors de l’armée ougandaise il est clair que les armées de la région ne font pas de l’arrestation de Kony une priorité.»

Une nouvelle Force régionale d’intervention

Un accord a toutefois été passé, en octobre 2010 à Bangui, pour créer des brigades conjointes anti-LRA entre les différentes armées de la région, sous la coordination de l’Union africaine et avec la bénédiction de Washington.

«Ces réunions [dont celle d'Addis Abeba le 8 juin dernier, ndlr] et les positions récentes prises par les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Union africaine sont encourageantes, estime Pascal Turlan, du bureau du procureur de la CPI.

Elles montrent qu’il y a une prise de conscience que la situation est intenable, que les populations sont les premières victimes, que les crimes commis sont le fait en particulier des trois personnes sous le coup des mandats d’arrêt de la CPI. Il y a une reconnaissance tangible du fait que l’arrestation de ces trois personnes est la clé pour la fin de la LRA et la fin des souffrances des populations dans cette région. Il faudra voir ensuite si les actes suivent ces initiatives politiques.»

L'initiative de créer une Force régionale d'intervention survient en effet après l’échec, en 2008, des négociations menées à Juba (Sud-Soudan) entre les rebelles de la LRA et l’Ouganda sous l’égide de la communauté internationale, et l’échec en 2009 d’une première opération militaire conjointe baptisée «Coup de tonnerre» —qui s’était surtout traduite selon Enough! par des représailles contre les populations.

«On a essayé pas mal de choses jusqu’à présent, constate Sandrine Perrot. On a essayé l’option militaire, et visiblement on a échoué. On a tenté également les pourparlers de paix internationaux. Une option à laquelle on n’a pas complètement donné sa chance, c’est l’intervention des leaders Acholis du nord de l’Ouganda pour tenter de renouer des contacts entre Kony et des gens en qui il aurait confiance, et pour tenter d’apporter des solutions concrètes à ce que va devenir Kony après la guerre.»

Franck Petit

http://www.slateafrique.com

17juin 2011

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