IMMIGRATION – Comment la France travaille à limiter le droit d’asile

La France combat les droits, notamment des mineurs et des homos, selon des câbles du Quai d'Orsay dont Rue89 a eu copie.

Voilà près de trois ans que les tractations durent. Depuis 2008, l'Union européenne travaille sur une « proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres ». Les négociations ont lieu en coulisse, elles devraient aboutir en 2012.

Elles opposent les institutions européennes aux gouvernements des pays membres. En résumé :

  • Le Parlement et la Commission, respectueux de la jurisprudence communautaire, celle de la Cour européenne des droits de l'homme en particulier, poussent à l'octroi de droits supplémentaires aux demandeurs d'asile, ces personnes qui fuient leurs pays et cherchent à obtenir le statut de réfugié.

  • Plusieurs Etats membres et le Conseil freinent en sens inverse, dans un souci d'allègement des procédures et de réduction des coûts. Particulièrement les trois pays accueillant le plus de demandeurs : la France (qui reçoit environ 50 000 demandeurs d'asile par an), l'Allemagne et le Royaume-Uni.

L'enjeu : un nouveau régime prévu pour 2012

Ce n'est pas nouveau. Mais ce que l'on constate dans les dépêches du Quai d'Orsay, dont Rue89 a obtenu copie, c'est la froideur clinique avec laquelle les diplomates français demandent à supprimer des droits parfois élémentaires, ou bien à éviter des avancées qui semblent évidentes au regard des textes internationaux.

Ces télégrammes, classés « RESTREINT », sont partis de la représentation française auprès de l'Union européenne, à Bruxelles, vers le Quai d'Orsay, entre le 22 juin et le 13 juillet 2011. Rédigés par différents diplomates, ils sont tous signés par Philippe Etienne, le représentant permanent de la France.

Ils portent sur la préparation du futur « Régime d'asile européen commun », dont la deuxième phase est prévue pour 2012 (voir ici les différentes options), la première étant en vigueur depuis 2005.

Rue89 a demandé à Gérard Sadik, coordinateur de la commission nationale asile à laCimade, d'expliquer ou de commenter certains passages.

1Limiter l'accès à l'emploi

La France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont conjointement proposé, le 31 mai 2011, de restreindre l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail, afin de réduire « l'attractivité » de l'Union européenne :

« [La contribution des trois pays] rappelle que l'accès au marché du travail pour les demandeurs d'asile ne doit pas être autorisé à l'issue d'un délai de six mois, mais d'une année, sauf à ajouter un nouvel élément d'attractivité à la procédure d'asile et à favoriser l'insertion, rendant difficile l'éloignement ultérieur en cas de rejet de la demande d'asile. »

 

On note ici la méfiance de la France sur le détournement des procédures d'asile par des immigrés qui n'auraient pas à bénéficier de ce statut. La Commision ne prenant pas en compte cette demande, dit le télégramme, « la France et ses partenaires devraient maintenir leur opposition sur ce point ».

Pour Gérard Sadik, cette pression pour diminuer l'accès à l'emploi « est conforme au discours de la droite comme de la gauche depuis trente ans ».

2Renforcer les possibilités de rétention

Actuellement, des mineurs non accompagnés faisant une demande de droit d'asile peuvent être placés en zone d'attente dans les gares, ports ou aéroports.

Un premier projet de texte, rapporte un télégramme, aurait embarassé la France :

« Il interdisait formellement le placement en rétention des mineurs isolés, ce qui nous gênait s'agissant du placement en zone d'attente que nous autorisons. »

 

La France s'est bagarrée, et a eu gain de cause auprès de la Commission. Une exception a été prévue, et l'on comprend entre les lignes que la France va s'y engouffrer :

« Les mineurs non accompagnés ne peuvent être placés en rétention que dans des cas particulièrement exceptionnels, non définis dans le texte. »

 

Mais la victoire n'est pas totale :

« La nécessité de séparer les demandeurs d'asile des autres personnes maintenues en rétention est par ailleurs confirmée, ce qui entraînera des coûts financiers pour mettre les centres de rétention et les zones d'attente en conformité. »

 

3Contre « les droits », pour l'accélération des procédures

Avant d'obtenir éventuellement le statut de réfugié, le demandeur d'asile doit en France s'adresser à l'Ofpra. La Commission a accordé aux demandeurs une aide juridique en première instance, et la France en redoute les conséquences :

« Cette disposition […] alourdira les procédures et allongera les délais. »

 

En appel – devant la CNDA –, l'aide juridique existe déjà, et la France et ses alliés veulent la limiter. Depuis que l'aide a été instaurée en appel, en 2007, Gérard Sadik rappelle que « le nombre de demandes a explosé » à la Cour.

Ici, les Français font preuve d'une belle maîtrise de la novlangue, quand « équilibrer » veut dire « limiter », et quand « juridictionnaliser » (sic) veut dire « alourdir et renchérir les procédures » :

« La contribution franco-germano-britannique […] demandait à ce que les dispositions relatives à l'assistance juridique gratuite soient équilibrées, et ne conduisent pas à juridictionnaliser la procédure administrative de première instance et ne constituent pas une source de lourdeurs supplémentaires et de coûts financiers importants pour les Etats membres, mais respectent le régime national de droit commun.

Ceci est notamment important dans une situation de hausse de la demande et de crise budgétaire dans les Etats membres. »

 

La France et ses amis n'ont pas eu gain de cause, la Commission maintenant sa volonté d'imposer plus de droits :

« […] La Commission […] continue de préconiser des droits qui alourdissent les procédures […]. »

 

Concernant les personnes vulnérables, la diplomatie française préconise des dispositions « équilibrées et pragmatiques », qui définiraient bien cette notion, et « d'éviter toute procédure lourde supplémentaire, en veillant à ce que les droits qui sont conférés à ces personnes ne comprennent pas par exemple l'impossibilité de les placer en procédure accélérée et en procédure d'asile à la frontière ou l'impossibilité de rejeter leurs demandes comme manifestement infondées ».

Ces trois dernières avancées, que la Commission prévoit toujours dans son projet, concernent « les personnes ayant subi des tortures, des viols et d'autres formes de violence physique, psychologique ou sexuelle ». Ainsi que les mineurs isolés.

Sur ce point, le diplomate français avertit :

 »Nous ne pourrions ainsi plus maintenir les mineurs isolés en zone d'attente, ce qui risque de favoriser l'émergence de filières, la garantie leur étant donnée d'entrer sur le territoire et de s'y maintenir en toute liberté. »

 

Dans une autre dépêche, on apprend que la France est « assez isolée » sur ce point.

La France est moins seule dans sa réticence contre une autre disposition, qui paraît pourtant évidente en matière de droits de l'homme :

« [La disposition] visant à ne permettre le placement en rétention des personnes vulnérables que s'il est établi que leur état de santé et leur bien être ne se détérioreront pas. »

 

4Les homosexuels, clairement discriminés

Dans une dépêche du 5 juillet, on apprend que « de très nombreuses délégations » (dont la France) « ont exprimé des réserves » sur un point concernant les « demandeurs ayant des besoins spéciaux ».

En tenant compte d'amendements du Parlement européen, la Commission a élargi cette catégorie aux demandeurs d'asiles qui font « référence à l'orientation et à l'identité sexuelle ».

Pas moins de treize pays (1) regrettent cet élargissement.

Pour Gérard Sadik, ce point renvoie à un problème récurrent dans la demande d'asile et, plus largement, dans la diplomatie française :

« La CNDA a du mal à accorder l'asile aux personnes persécutées en fonction de leur orientation, il faut qu'elles soient en plus militantes de la cause homosexuelle. Comme s'il était facile de militer, quand on est homosexuel, dans certains pays comme l'Iran ou la Russie !

Le Quai d'Orsay a un discours très homophobe. »

 

(1) France, Slovénie, République tchèque, Autriche, Portugal, Pays-Bas, Espagne, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Luxembourg, Slovaquie, Suède. Un quatorzième, l'Italie, a critiqué ce point tout en se félicitant « de la prise en considération de l'orientation sexuelle ».

 

http://www.rue89.com

09/09/2011

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *