FRANCE – Les diplômés étrangers des grandes écoles refoulés

La France souhaite attirer des étudiants étrangers. Mais elle les refoule une fois diplômés.

Que va devenir Omar (1), 23 ans ? Dans quelques jours, son autorisation de séjour en France expire. Et deux semaines plus tard, il sera convoqué à la préfecture. "Je serai alors sans papiers. Je ne sais pas si c'est pour faire avancer ma demande de régularisation ou pour me tendre un piège", dit calmement le jeune homme.

Une histoire de sans-papiers de plus ? Pas tout à fait. Omar a un bac + 5. Il est diplômé d'une des plus prestigieuses institutions de notre enseignement supérieur. Il a fréquenté dans son pays d'origine, le Maroc, un de ces très grands lycées français qui sont la vitrine de notre excellence académique. On l'y a encouragé à tenter nos concours les plus difficiles. Au prix de deux ans de travail acharné, Omar a réussi. Récemment diplômé, il voit s'ouvrir de belles perspectives professionnelles. D'ailleurs, très vite, il obtient une promesse d'embauche. Mais il y a quelques semaines, le couperet tombe : les autorités françaises lui ont refusé de rester en France pour travailler. Son visa étudiant va bientôt expirer…

Tour de vis

Omar raconte son histoire d'une voix égale. Il s'excuse de ne pas pouvoir donner plus de détails. Il craint que ses tentatives pour régulariser sa situation n'échouent s'il est reconnu. Pas de détail donc, mais des histoires, à foison, d'étudiants auxquels la France a fait les yeux doux, que les grandes entreprises françaises mondialisées – L'Oréal, Sodexo, Total… – aimeraient bien former ici pour leur transmettre leur "culture maison", avant de les muter soit chez eux, soit ailleurs, dans une carrière qui, de toute façon, ne connaîtra pas de frontières. Seulement, de nos jours, c'est devenu de plus en plus difficile.

Le 31 mai 2011, Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, et Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, ont envoyé aux préfets une circulaire durcissant les conditions d'obtention d'un permis de travail. L'objectif est chiffré : passer de 30 000 visas de travail à 20 000. Victimes collatérales de ce tour de vis : les étudiants étrangers, y compris les diplômés de nos plus grandes écoles : HEC, Centrale, Sciences Po… L'administration ne fait pas de détail. La méthode : la multiplication des démarches nécessaires. Le nombre de pièces demandées pour obtenir le changement de statut (d'étudiant à salarié) a explosé. Certaines demandes sont difficiles à satisfaire, ainsi faut-il une copie de son diplôme, mais bien souvent, entre la fin du cursus et la délivrance dudit document, il s'écoule environ six mois. Un casse-tête. Selon le collectif étudiants étrangers qui vient de se monter, encore est-ce là un simple hors d'oeuvre : "Cette première démarche sert uniquement à pouvoir retirer en préfecture le dossier de demande de changement de statut." Il faut alors tout recommencer…

Refus discrétionnaire

Ces tracasseries confinent au cauchemar quand la réponse tombe, discrétionnaire : refus ! "En général, c'est en arguant que le marché de l'emploi dans le secteur concerné est en tension. Mais, dans bien des cas, des mois plus tard, les postes que les étrangers avaient décrochés sont toujours à pourvoir", s'exclame une étudiante qui souhaite garder l'anonymat. Quel gâchis ! Souvenez-vous, c'était il y a une éternité, en 2007 : Nicolas Sarkozy prônait l'immigration choisie. Le 10 mai 2011, lors d'une réunion du G8, Alain Juppé exhortait notre enseignement supérieur à briller à l'international : "Dans un environnement où la connaissance et l'innovation sont des facteurs essentiels de la compétitivité, [la mobilité internationale étudiante] devient un enjeu majeur de la compétition économique mondiale, tant par son importance financière que par les potentiels qu'elle développe. Pour nos écoles et nos universités, elle constitue un élément essentiel de l'accès à l'excellence", affirmait le ministre des Affaires étrangères. Sans doute ne s'était-il pas concerté avec ses collègues du gouvernement qui publiaient leur circulaire moins de trois semaines plus tard. Un directeur de grande école s'emporte : "On n'espère quand même pas attirer des étudiants si c'est pour les mettre dans un charter dès qu'ils ont fini leurs études !" Pour Bernard Belletante, président du Chapitre des grandes écoles de commerce, il est clair que ces étudiants vont préférer d'autres destinations. Omar, lui, n'a aucune idée de ce qui va lui arriver. Il attend.

(1) Le prénom a été modifié

Par

http://www.lepoint.fr

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