AUSTRALIE – Le bon filon des facs australiennes

L’Express du 02/08/2004
Le bon filon des facs australiennes
Source : http://www.lexpress.fr
par Marco Rangi

Cette année encore, de nombreux étudiants du monde entier intégreront une faculté du pays-continent océanien: en près de vingt ans, la migration estudiantine, venue surtout de l’Asie, toute proche, y a littéralement explosé

C’est en discutant un jour du «pays» que Sophia Chen et Simone Hu ont réalisé qu’elles venaient de la même ville: elles sont toutes les deux nées à Canton. Mais c’est à 7 500 kilomètres de leur Chine natale que ces deux jeunes femmes, âgées de 20 et 23 ans, se sont rencontrées. Ces étudiantes suivent des cours à Clayton, qui dépend de l’université Monash. Quand elles se promènent dans cet immense campus situé à 19 kilomètres du centre de Melbourne, Sophia et Simone, qui ont choisi des prénoms occidentaux en arrivant en Australie, ne se sentent pas vraiment dépaysées. Des milliers d’Asiatiques ont en effet choisi de suivre leur cursus universitaire dans cette banlieue paumée de la capitale de l’Etat de Victoria.

En Nouvelle-Zélande aussi

Un petit parfum d’Angleterre flotte sur Northcote College: jupe plissée bleu marine pour les filles, bermuda et casquette pour les garçons. Cet établissement privé situé tout près du centre d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, ressemble à tous ceux qui s’inspirent du modèle britannique. Sauf que, dans les couloirs, on entend plus souvent le chinois ou le coréen que l’anglais. Depuis trois ans, ce lycée voit affluer un nombre croissant de jeunes d’autres pays. «Tous les jours, nous devons refuser des dossiers de candidature, reconnaît Catherine Smith, responsable des élèves étrangers. Nous pourrions remplir toutes nos classes avec des Chinois. Nous avons aujourd’hui 180 lycéens étrangers pour un effectif total de 1 412 élèves. Quand j’étais scolarisée, les seuls non-kiwis que l’on voyait étaient des Tahitiens.»

La Nouvelle-Zélande est devenue ces dernières années l’une des destinations préférées des étudiants du monde entier souhaitant suivre une formation en anglais. En 2002, 82 474 étrangers sont venus étudier «Down Under», soit une hausse spectaculaire de 57% en un an, les Chinois représentant près de 40% de cette population. Au total, les lycées néo-zélandais comprenaient 11 863 étrangers en juillet 2002, pour… 1 748 en 1993. Dans les écoles primaires, ce chiffre a bondi au cours de la même décennie de 208 à 3 396. «Nous sommes passés de 571 étudiants étrangers en 1990 à 1 800. Le nombre de Chinois a progressé à lui seul de 8 en 1997 à… 1 766 en 2002», se rappelle Lindsay Spedding, coordinateur du marketing du bureau de la section internationale de l’université d’Auckland. Ce boom représente un véritable pactole pour ce pays de moins de 4 millions d’habitants. Les frais d’inscription et l’argent dépensé chaque année par les élèves en logement et en nourriture approcheraient 750 millions d’euros.

A Clayton, le choc culturel n’est pas trop important pour ces «émigrants estudiantins». Le plus grand restaurant du campus propose des nouilles de Singapour et les affichettes des associations sportives de l’université montrent bien l’influence asiatique qui imprègne ce lieu: les étudiants peuvent s’adonner à une multitude d’arts martiaux, comme le kei shin kan, le kendo, le taekwondo, le wu shu, le shorinji kempo et le judo. Cette année, 27% des 53 000 étudiants de Monash sont étrangers. Leur nombre a été multiplié par sept depuis 1986. Cette université n’est pas la seule à compter un large contingent d’étudiants étrangers en Australie. Loin de là. 9 000 des 41 000 élèves de l’université de Nouvelle-Galles du Sud (UNSW) ont quitté leur pays pour suivre un des cursus proposés à Sydney. «Parfois, lorsque je me promène sur le campus, je me demande où sont les gens du pays», s’amuse Betty Chow, directrice du centre d’accueil des étudiants étrangers. Les salles de cours de l’université Central Queensland (CQU) sont, elles, remplies à 43% d’élèves venus jusque-là pour décrocher un diplôme. L’an dernier, l’Australie comptait plus de 303 320 étudiants étrangers. «Si on ne prend pas en compte la Suisse, qui est un cas à part, car ce pays rechigne à accorder la nationalité helvétique aux résidents de longue durée, nous sommes le pays de l’OCDE qui compte le plus d’élèves issus d’autres pays, se félicite William Thorn, directeur pour la coopération internationale au ministère fédéral de l’Education, de la Science et de la Formation. Leur proportion atteignait 13,9% en 2001, le chiffre le plus récent dont nous disposons. En France, c’est tout juste 7,3%; en Grande-Bretagne, 10,9%.» Cette migration estudiantine rapporte gros à l’Australie. L’an dernier, le chiffre d’affaires de ce secteur a dépassé 3,23 milliards d’euros. Seuls le tourisme et le transport apportent plus de devises dans le secteur des services.

Des arrière-pensées financières

La venue en masse d’élèves étrangers «Down Under» est un phénomène très récent. Tout a commencé en 1987. «Cette année-là, le gouvernement fédéral a décidé de permettre aux universités de recruter autant d’étudiants étrangers qu’elles le souhaitaient à condition que ces élèves paient l’intégralité de leurs frais de scolarité», poursuit William Thorn. Cette réforme «nous a permis de dépasser notre taille critique, souligne Anthony Pollock, vice-président de la division internationale de l’université Monash. Nous avions besoin de plus de ressources pour faciliter le travail de nos chercheurs et mieux former les étudiants». L’Australie a tout de suite cherché à attirer des étudiants asiatiques. Ce pays grand comme un continent ne manque en effet pas d’atouts pour séduire les élèves chinois ou indonésiens.

L’une des principales raisons qui poussent les étrangers à aller y passer des diplômes est d’améliorer leur pratique de l’anglais. «C’est cela qui m’a motivée pour venir à Sydney, confirme Veve Koeshendro, une Javanaise qui étudie la gestion des chantiers de construction à UNSW. Je suis allée au lycée à Singapour, mais l’anglais parlé dans ce pays n’est pas suffisamment bon pour que l’on devienne réellement bilingue.» La plupart des Asiatiques qui émigrent en Australie mettent plusieurs mois avant de comprendre parfaitement leurs enseignants. «La barrière de la langue est vraiment difficile à franchir», reconnaît Truong Thanh, un Vietnamien âgé de 19 ans arrivé une semaine plus tôt à Monash. «Les Asiatiques galèrent à cause de leur niveau d’anglais», résume Florence Régnaut, une Lilloise de 22 ans qui prépare un master d’études asiatiques à Clayton.

La relative proximité de l’Australie est également un plus pour la plupart des expatriés asiatiques. «Sydney n’est qu’à huit heures de vol de chez moi; il en faut seize pour les Etats-Unis», note Carmen Kwok, une Hongkongaise de 22 ans installée dans l’ancienne ville olympique depuis 1999. «Les Asiatiques ressentent une certaine familiarité avec notre pays, car ils sont nombreux à avoir de la famille ou des amis chez nous», remarque Anthony Pollock.

Attirer de nombreux étudiants étrangers n’est pas non plus dénué d’arrière- pensées financières. Avant la récente montée en flèche du cours du dollar local, en Australie le coût d’une licence de commerce était de 35% moins élevé qu’en Grande-Bretagne et de 73% inférieur à celui d’une université privée américaine. La note reste toutefois assez salée pour les Européens, habitués à des études moins onéreuses. «Mon master me coûte 4 270 € par semestre!» critique Florence Régnaut, qui a cependant choisi d’aller poursuivre ses études aux antipodes pour vivre avec son petit copain australien. Cette Française ne devrait toutefois pas trop se plaindre. Car les étudiants originaires de pays classés dans la catégorie 4, comme la Chine et l’Inde, doivent, pour obtenir un visa, montrer aux services australiens de l’immigration un compte en banque pourvu d’une somme équivalente à l’ensemble des frais de scolarité et de séjour qu’ils devront débourser durant leur formation. Soit le plus souvent au moins 60 000 €.

En contrepartie, ce lourd investissement peut rapporter gros aux étudiants qui rentrent dans leur pays d’origine pour y travailler. «Un Thaïlandais qui a fait ses études en Australie peut obtenir un salaire de 20% supérieur à celui d’un jeune diplômé local», observe Preeyaporn Srasuebkul, doctorante en biostatistique à l’UNSW originaire de Bangkok.

«Certains élèves choisissent aussi de venir ici parce qu’ils ne parviennent pas à être acceptés dans les universités de leur pays, remarque Ryan Cross, un Américain qui prépare à Sydney un doctorat en robotique et en intelligence artificielle. Il est ainsi, par exemple, très difficile d’obtenir une place dans les meilleures facultés japonaises.»

«Nous sommes le pays de l’OCDE qui compte le plus d’élèves issus d’autres pays»

Le succès des universités australiennes auprès des étudiants étrangers tient également beaucoup aux énormes efforts déployés par les dirigeants des établissements pour satisfaire les moindres désirs de leur «matière grise importée». «Nous avons commencé par internationaliser notre manière d’enseigner, explique On Kit Tam, directeur du centre de recherche sur la Chine de l’Institut Monash Asie. Lorsque je donne des cours en MBA, certaines de mes classes comprennent des étudiants originaires de 20 pays différents. J’ai donc pris l’habitude de m’appuyer sur des études de cas australiens mais aussi d’autres pays.» De plus, les professeurs doivent souvent travailler d’arrache-pied pendant plusieurs semaines pour mettre leurs étudiants asiatiques à l’aise. «Ces élèves ont un énorme respect pour le système hiérarchique et ils ont tendance à croire tout ce qui sort de la bouche de leur enseignant, a observé Pierre Lantrin, professeur de marketing à Monash. On doit leur apprendre à avoir un esprit critique. C’est dur pour eux. Ils doivent aussi prendre l’habitude de parler en classe. Au bout de quelques jours, leur timidité commence à disparaître.»

«Il est amusant, Pierre, dit en souriant Sophia Chen, qui voulait au départ étudier aux Etats-Unis, avant d’être découragée par les services d’immigration américains, qui répugnent de plus en plus à accorder des visas aux élèves asiatiques. J’ai eu du mal à devenir critique, mais maintenant je le suis, car je n’avais pas le choix.» Les universités font tout pour faciliter la vie à leurs étudiants étrangers. A l’aéroport international de Sydney, un bureau d’accueil est ouvert dix heures par jour pour les élèves fraîchement débarqués de l’avion.

Un investissement très payant

Chaque campus abrite également un centre d’accueil pour les étudiants étrangers. En plein cœur de l’UNSW, un bâtiment de trois étages est réservé aux «émigrants». «Nous sommes là pour aider les étudiants à résoudre leurs problèmes aussi bien universitaires que d’ordre privé, comme la couverture médicale», résume Betty Chow, une Australienne originaire de Hongkong. Certaines facultés offrent des formations de remise à niveau d’un an pour les étrangers qui souhaitent être admis dans une université australienne. Cette année, baptisée «fondation», rencontre un succès grandissant. «Cette formation est la manière la plus simple d’intégrer une université australienne», résume Carmen Kwok. «J’ai choisi de faire ma «fondation» à l’UNSW car, lorsqu’on sort de cette classe, on est presque sûr d’être accepté dans cette université», renchérit la Malaisienne Elaine Chang. Monash est allé encore plus loin en créant une section où les étudiants suivent leur première année universitaire dans des classes aux effectifs restreints. Des cours d’anglais supplémentaires sont proposés aux élèves ayant des difficultés de compréhension.

Ces avantages sont importants, encore faut-il les faire connaître aux lycéens vivant en Asie. Dans ce domaine également, les Australiens sont passés maîtres. Les facultés utilisent toutes des pléiades d’agents chargés de recruter des étudiants à l’étranger. Les établissements ne rechignent pas non plus à recourir aux ficelles du marketing direct et de la publicité. Il n’est ainsi pas rare de voir dans les couloirs du métro de Hongkong ou de Singapour des affiches vantant l’éducation à la mode australienne. «Les facultés gèrent leur nom comme une marque», résume Lindy Hyam. La directrice générale de l’IDP – un institut de promotion des universités australiennes – sait de quoi elle parle. Son organisation à but non lucratif, contrôlée par un consortium regroupant 38 des 39 universités australiennes, a pour principal objectif de recruter des étudiants étrangers. Ses 699 employés, présents dans plus de 100 bureaux éparpillés dans 55 pays, ont enrôlé 22 800 élèves en 2003. «Ce chiffre devrait franchir le cap des 27 000 cette année, estime Lindy Hyam, qui finance son institution en faisant payer une commission pour chaque nouvelle recrue [son chiffre d’affaires a dépassé 76 millions de dollars en 2003]. Nous sommes le plus important recruteur en Australie.» Trouver de nouveaux étudiants coûte cher aux universités. «Le recrutement d’un étudiant qui paiera en moyenne 11 000 €de frais de scolarité par an nous revient entre 1 000 et 1 200 €», révèle Anthony Pollock. Mais cet investissement initial est payant.

Diversification extérieure

Leurs campagnes sont aujourd’hui tellement populaires que les universités australiennes ne parviennent plus à répondre à la demande. «Nous recevons chaque année plus de 16 000 candidatures, mais nous n’avons que 3 000 places disponibles», regrette Christine Cox, directrice adjointe du service international d’UNSW. «Nous sommes donc obligés de proposer des programmes en dehors de nos frontières, ajoute Anthony Pollock.» Les facultés australiennes ont commencé cette diversification en signant des accords de partenariat avec des établissements d’autres pays. Plus de 600 programmes ont ainsi été conclus rien qu’en Malaisie. 2 000 Singapouriens et 1 000 Hongkongais suivent dans des écoles locales des cours qui leur permettront de décrocher un diplôme de Monash. Le succès aidant, certaines facultés ont voulu aller encore plus loin. Monash a ainsi inauguré en 1998 à Kuala Lumpur, la capitale malaise, un campus qui compte aujourd’hui 2 000 étudiants. En 2001, l’université a ouvert un nouveau campus en Afrique du Sud. Ces investissements importants sont toutefois risqués. Le centre de Johannesburg, qui ne compte que 460 élèves, a perdu près de 13 millions d’euros en trois ans. Malgré cela, ses dirigeants sont confiants. «Dans cinq à dix ans, nous atteindrons notre taille critique dans ces deux campus, prédit Anthony Pollock. Nous devrions avoir 4 000 étudiants sur chaque site.»

L’exemple australien commence à faire des envieux en Occident, où les universités commencent à rechercher de nouvelles sources de financement. «Nous rencontrons de plus en plus de délégations étrangères qui nous demandent les recettes de notre succès», souligne Lindy Hyam. «Le défilé est incessant», renchérit Anthony Pollock. L’avenir s’annonce en effet radieux. En 2000, 1,8 million d’étudiants choisissaient de suivre un cursus universitaire en dehors de leur pays d’origine. Une étude de l’IDP prévoit que ce chiffre devrait franchir la barre des 7,2 millions en 2025. Plus de la moitié de cette population étudiante devrait venir de Chine et d’Inde. Les Indiens représentent déjà aujourd’hui le plus gros contingent d’élèves étrangers dans les facultés américaines. Ce boom profitera largement aux universités australiennes, qui devraient former près de 1 million d’étudiants étrangers en 2025. «Notre problème sera non de trouver de nouveaux étudiants, mais plutôt de répondre à la demande», prévoit Christine Cox. Les universités françaises doivent faire vite si elles veulent profiter d’une part du gâteau.

Post-scriptum
Le premier semestre de 2004 a confirmé l’augmentation du nombre d’étudiants chinois (+ 47,3%) et indiens (+ 51,9%). Ceux de Singapour et de Hongkong sont, en revanche, moins nombreux (- 4,8% et – 12,3%), notamment en raison de la hausse du cours du dollar australien.

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